De Taine encore ceci : « Dans ce grand vide des intelligences, les mots indéfinis de liberté, d'égalité, de souveraineté du peuple, […] tous les nouveaux axiomes flambent comme des charbons allumés, et dégagent une fumée chaude, une vapeur enivrante. La parole gigantesque et vague s'interpose entre l'esprit et les objets ; tous les contours sont brouillés et le vertige commence. Jamais les hommes n'ont perdu à ce point le sens des choses réelles. Jamais ils n'ont été à la fois plus aveugles et plus chimériques. Jamais leur vue troublée ne les a plus rassurés sur le danger véritable, et plus alarmés sur le danger imaginaire. »
Nous sommes dans les premiers mois de 1789.
Puisque vous êtes là, et que vous n'avez rien de mieux à faire, je vous livre les dernières lignes du chapitre dont j'ai tiré ce qui précède ; chapitre intitulé La Propagation de la doctrine. Taine en a successivement étudié et montré les effets dans l'aristocratie et le clergé, puis dans la frange aisée du tiers-état, se réservant le peuple pour le chapitre suivant. Voici donc :
« Ainsi descend et se propage la philosophie du dix-huitième siècle. – Au premier étage de la maison, dans les beaux appartements dorés, les idées n'ont été que des illuminations de soirée, des pétards de salon, des feux de Bengale amusants ; on a joué avec elles, on les a lancées en riant par les fenêtres. – Recueillies à l'entresol et au rez-de-chaussée, portées dans les boutiques, dans les magasins et dans les cabinets d'affaires, elles y ont trouvé des matériaux combustibles, des tas de bois accumulés depuis longtemps, et voici que de grands feux s'allument. Il semble même qu'il y ait un commencement d'incendie ; car les cheminées ronflent rudement, et une clarté rouge jaillit à travers les vitres. – “Non, disent les gens d'en haut, ils n'auraient garde de mettre le feu à la maison, ils y habitent comme nous. Ce sont là des feux de paille, tout au plus des feux de cheminée : mais, avec un seau d'eau froide, on les éteint ; et d'ailleurs ces petits accidents nettoient les cheminées, font tomber la vieille suie.” Prenez garde : dans les caves de la maison, sous les vastes et profondes voûtes qui la portent, il y a un magasin de poudre. »
Et nous approchons de 2019.
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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.