dimanche 20 juin 2021

Ébriété calembourgeoise

Dans ses romans, Antoine Blondin semble en état presque constant d'ébriété. Je ne parle pas de celle que lui procurait l'alcool, mais d'une autre que je qualifierais de calembourienne – ou calembourgeoise, si je veux à mon tour m'y risquer une seconde. Voilà un homme qui ne sait pas s'arrêter à temps, lorsque les mots lui viennent sous forme de jeux. Prenons deux exemples tirés du début de la deuxième partie de L'Europe buissonnière – mais le phénomène pullule partout.

Parlant de l'exode français et de l'invasion allemande de mai 1940, Blondin écrit : « L'horloge s'arrêtait, le marguillier déménageait à la cloche de bois, le sous-préfet prenait du champ, le général couchait à la belle étoile. » C'est amusant, c'est léger, le lecteur sourit puis passe : effet pleinement réussi. 

Seulement, vingt lignes plus bas, il y revient et, du coup, devient insistant, presque lourd : « Le marguillier qui avait déménagé à la cloche de bois se tapait la cloche, le sous-préfet qui avait pris du champ faisait des vers, le général qui couchait à la belle étoile comptait les siennes. » C'est trop. C'est du surlignage intempestif. Le lecteur ne sourit plus, ou jaune, et se surprend à soupirer en direction de l'auteur quelque chose comme : « OK, mon vieux, on avait compris du premier coup… »

Même chose, plus avant de quelques lignes. Blondin commence ainsi une phrase : « Lorsqu'on apprit que le front se dégarnissait près d'Étampes… » Clin d'œil, sourire du lecteur, là encore objectif atteint. Sauf que Blondin l'intempérant se croit tenu d'ajouter aussitôt, entre tirets : « une histoire à se faire des cheveux ». C'est le verre de trop, celui qui vous brouille la vue et vous fait tituber – surtout si, comme c'est le cas, ce genre de “trop plein” se rencontre à tous les coins de page. 

Si bien que, devenu raisonnable dans son vieil âge, le lecteur barbouillé décide de se faire abstème et se résout à remiser Antoine Blondin derrière le comptoir, avec toutes ses bouteilles à peine entamées.

17 commentaires:

  1. Êtes-vous certain que Blondin visait un fauteuil à l'Académie Française plutôt qu'un très large public auquel il est bon de préciser :" Voyez comme c'est drôle "?

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    1. Votre alternative n'a aucun sens. Surtout en ce qui concerne Blondin.

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  2. Je vous trouve bien dur avec ce brave Blondin. Je ne me souviens pas avoir rencontré cette tendance dans "Monsieur Jadis" ou "Un Singe en hiver". Il ne faudrait pas oublier que "l'Europe buissonnière" est une œuvre de jeunesse, temps de la vie où l'on se vautre volontiers la facilité.

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    1. Ma dureté apparente vient sans doute du fait que ce court billet est centré uniquement sur UN reproche que j'avais envie de lui faire, et qu'il laisse de côté tout les côtés positifs de sa lecture. Du reste, j'envisage de relire Monsieur Jadis, "pour voir"…

      En revanche, Un singe en hiver m'a laissé le souvenir d'un roman plutôt ennuyeux, surtout si on le compare avec le film qu'en a tiré Audiard.

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    2. Et croyez-moi : "laisser de côté des côté" comme je viens de le faire n'est pas à la portée du premier venu !

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    3. C'est un film de Verneuil; notez, Audiard était co-scénariste et auteur des dialogues : il n'a pas laissé grand-chose à faire à Verneuil.

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    4. J'ai tendance à considérer que les films écrits et/ou dialogués par Audiard SONT des films d'Audiard.

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    5. Il est vrai que ce dont on se souvient d'un film dialogué par Audiard, ce sont de certaines répliques, et non de certaines images.
      D'un autre côté, Audiard n'a jamais tenté d'écrire les dialogues d'un film comme "Le Septième Sceau"...

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    6. Il a tout de même écrit des films "sérieux". Par exemple, Garde à vue ou encore Mortelle Randonnée.

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    7. Merci pour l'info ! Je ne l'aurais jamais imaginé !

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    8. Je viens donc de retenter ma chance auprès de Blondin, avec Monsieur Jadis : décidément, non, ça ne veut pas.

      J'ai abandonné après deux ou trois dizaines de pages, découragé par des phrases comme celle-ci : « Elle s'appelait Blanche dans la nuit noire et sa silhouette noire ne tarda pas à recevoir l'hommage de toute nuit blanche. »

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  3. « Impassible au milieu de tout ce joli tapage, M. le sous-préfet invoque dans son cœur la Muse des comices agricoles ... » cher Alphonse 😉
    Hélène

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  4. Oups. Le réalisateur de "Un singe en hiver" est Verneuil si je ne m'abuse, comme dirait le docteur pur rester fidèle aux calembourgeoiseries évoquées ci-dessus.

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  5. ..."se faire abstème", alors là j'apprends quelque chose aujourd'hui et me coucherai moins ignorante ce soir, c'est bien la première fois que je croise cette expression.

    Mon père a trois volumes de chroniques - du Tour de France - de Blondin sur ses étagères, j'y jetterai un œil, ça doit regorger de ce genre d'exercices de style.

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  6. Lu sur un site (CNRTL, pour ne pas le citer, (prétérition)), à propos de "abstème" : "Depuis le début du XIXème siècle, la plupart des lexicographes le signalent comme peu usité"... Nous sommes en plein XXIème ! Mais c'est pas grave, je vais l'ajouter à ma collection; mais il aurait fallu que je l'usitasse avant !

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  7. Mais c'est parfois une légèreté trompeuse…

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  8. Je me suis permis de recycler l'expression que vous utilisez comme titre à ce billet, précisément pour commenter une lecture de "L'humer vagabonde" d'Antoine Blondin sur mon blog. C'est ici:

    http://fattorius.blogspot.com/2021/08/antoine-blondin-prendre-le-train-pour.html

    Bonne semaine à vous!

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.