Ainsi, au début des Jeunes Filles en fleur, dans la partie intitulée Autour de Mme Swann, apparaît soudain une comtesse de Marsantes. Cela dure le temps d'une dizaine de lignes, à peine. C'est une silhouette fugitive et silencieuse, pas plus réelle qu'une personne qui entrerait dans un restaurant, traverserait la salle et ressortirait par une autre porte, sans s'être assise à aucune table ni avoir dit mot à quiconque. Le primo-lecteur l'oublie aussitôt. Mais le relecteur, lui, sait que Mme de Marsantes est la mère de Robert de Saint-Loup, personnage non encore apparu et qui va devenir très important (capitalissime, dirait Proust) dans la suite.
Et il n'est pas indifférent que cette apparition presque fantomatique soit pour nous apprendre que Mme de Marsantes était la seule personne “élégante” (elle est une Guermantes) qui consentait à recevoir chez elle Odette Swann. Car le relecteur sait fort bien que leurs destins sont d'ores et déjà liés, puisque Robert de Saint-Loup va dans l'avenir épouser la fille de Swann et d'Odette, Gilberte ; et que, à deux mille pages de là, tout à la fin du Temps retrouvé, lors de la fameuse matinée chez la princesse de Guermantes, le narrateur se fera présenter leur fille, Mlle de Saint-Loup, en qui, par le jeu des combinaisons génétiques, se sont finalement rejoints le “côté de chez Swann” et le “côté de Guermantes” qui, aux yeux de ce même narrateur lorsqu'il était enfant, paraissaient aussi éloignés et injoignables que deux galaxies du cosmos.
Il en est un certain nombre d'autres, des petits plaisirs du même genre. Ainsi, au début de la Recherche, lorsque les habitants de Combray plaignent beaucoup Swann de ce que sa femme le trompe ouvertement avec son ami le baron de Charlus, alors que le relecteur sait fort bien que si Swann laisse si volontiers Odette seule avec le baron c'est parce qu'il sait celui-ci pédé comme un phoque et, donc, tout à fait apte à jouer les chaperons sans le moindre risque pour son honneur ni pour la vertu passablement écornée d'Odette.
Tant pis pour vous !
RépondreSupprimerOui, mais si on sait que Proust était pédé comme un phoque, et que ses personnages féminins sont en réalité des hommes, ça se complique...
RépondreSupprimer( Êtes- vous certain que tous les phoques, absolument tous,sont pédés ? Ça aussi, ça pose un problème compliqué !)
Sottise : ses personnages féminins ne sont nullement des hommes. Ils sont même (Odette de Crécy, Albertine, Gilberte Swann…) assez implacablement féminins.
SupprimerOu encore "comme un fox", puisque les chiens se montent volontiers dessus entre eux. Ce qui me permet de vous rappeler ces charmants vers de Théophile Gautier :
SupprimerQue les chiens sont heureux
En leur humeur badine !
Ils se sucent la pine,
Ils s'enculent entre eux :
Que les chiens sont heureux !
(Je ne garantis pas la ponctuation…)
c'est PD comme un foc, la petite voile triangulaire à l'avant des voiliers qui prend tout (le vent) par l'arrière :) et c'est pas dans Proust
SupprimerMarcel Proust retrouvé
RépondreSupprimerMouais… Disons que ce jeune homme POURRAIT en effet être Proust…
Supprimer@Fredi M:
RépondreSupprimerLire la Recherche du temps perdu c'est un peu comme apprendre à nager lorsque l'on est enfant. On essaye, on manque de se noyer, on tente une nouvelle fois, cela ne va guère mieux et puis un jour, miraculeusement on avale les pages. Du coté de chez Swann semble aussi aisé que sa première longueur de bassin et tout semble naturel ensuite. On prend alors plaisir, comme M. Goux, non seulement à cotoyer tous les personnages mais aussi à complètement rentrer en eux tant la description des ressorts de leur âme est détaillée par Proust. Cette connaissance des personnages que nous procure la lecture de la Recherche est si intime que M. Goux peut dire, sans se tromper, que les femmes y sont réellement femmes et ainsi couper court à certaines idées à l'emporte pièce. Peut-on imaginer Odette, dont il est dit qu'elle a les traits de la fille de Jethro de Botticelli, avec de la moustache? Et Gilberte en femme à barbe peut-être? On m'a dit que Proust aurait utilisé son chauffeur Alfred Agostinelli pour dépeindre les traits d'Albertine, je ne m'y connais peut-être pas beaucoup en homosexualité mais celà est pour moi un grand mystère.
Si toutefois, vous restiez rétif à la Recherche, puis-je vous conseiller un film qui a reçu une mauvaise critique à l'époque et n'a pas plu au public? Il s'agit du "Temps retrouvé" de Raoul Ruiz. Si cela ne suffisait pas, je vous conseillerais alors un petit livre très drôle d'Alain de Botton "Comment Proust peut changer votre vie", car finalement, c'est bien de ca qu'il s'agit.
@M. Goux
Votre remarque sur le mode d'apparition par petite touches impressionistes de certains personnages est tout à fait juste. Albertine, qui donne beaucoup d'occupation à l'auteur pendant la partie centrale de la Recherche nous est présentée tout d'abord par Mme Vinteuil, puis par Swann, puis par Mme Bontemps, elle n'est alors qu'une des jeunes filles en fleur au début du roman. De même, je crois que la première évocation d'Odette est celle de "la femme en rose" de l'oncle du narrateur, et il faudra de nombreuses pages pour comprendre que cette femme est devenue Mme Swann.
J'ai failli faire, hier soir, un rajout à propos d'Albertine et de Mme Bontemps, effectivement. Le prénom d'Albertine est prononcé pour la toute première fois par Gilbert Swann. Qui signale en outre qu'elle avait un genre "bizarre" (je ne sais plus si c'est le mot exact, mais l'idée est celle-là).
RépondreSupprimerTout ce que vous dites des difficultés de la première lecture, difficultés qu'on a du mal à comprendre quand on y revient, est parfaitement exact. Je me souviens, vers 1980 ou 81 d'avoir failli dix fois abandonner Du côté de chez Swann avant même d'être sorti de Combray…
Je suis, quant à moi, beaucoup plus réservé (euphémisme) au sujet du film de Ruiz, qui ne me semble valoir d'être vu que pour l'incarnation de Charlus par un superbe Delon. Mais c'est tout de même bien maigre…
RépondreSupprimerM. Goux,
RépondreSupprimerVous êtes sûr de ce que vous avancez ? La page wiki du film indique Malkovitch pour Charlus et nulle trace de Delon.
Je précise que j'ignorais tout du film (dont le casting est impressionnant).
Et puisque j'interviens ici, je précise qu'ayant lu la Recherche, j'ai trouvé beaucoup plus facile les trois premiers tomes. Effectivement, on ne comprend pas toujours tout des personnages, mais on est enchanté (en tout cas, moi).
A contrario, la partie Sodome m'a fatigué (Proust finit par mettre des invertis partout) et la partie Albertine m'a donné envie de gifler le narrateur pour lui apprendre à retrouver ses esprits (sa jalousie pathologique est pénible).
K.
Malheur à moi : j'ai confondu ce film-là avec Un amour de Swann par Schlondorff !
RépondreSupprimerPour le reste, oui, les trois premiers volumes sont en effet plus facile d'accès. Mais que de merv eilles dans les trois autres !
Quand sont épuisés les plaisirs de la relecture (mais non, ils sont inépuisables, c'est le propre d'une oeuvre véritable d'être toujours nouvelle et plus forte que l'habitude - ceci pour user d'un des thèmes récurrents de La Recherche) s'ouvrent ceux des esquisses et variantes.
RépondreSupprimerEt avec Proust, il y a de quoi faire, dans ce domaine…
SupprimerAvez-vous écouté ce matin à 10h00 sur France-Culture l'émission de Jean-Noël Jeanneney "Concordance des temps" intitulée “Proust, les chemins de la gloire"? Invité Charles Dantzig et témoignages de Pierre Bertin, François Mauriac, Nathalie Sarraute ...
RépondreSupprimerJe n'écoute jamais la radio. Et, de toute façon, si c'était le cas, le seul nom de ce pénible cuistre de Dantzig aurait probablement suffi à me faire fuir…
Supprimerce matin sur causeur ( https://www.causeur.fr/proust-amoureux-le-cas-alfred-agostinelli-223721 ), M. Quaranta calme un peu les ardeurs de M. Simouni sur les amants de Marcel Proust ...
RépondreSupprimerJ'ai vu ça, oui. Ce n'est pas pour autant que son article vole bien haut. Décidément, je trouve que, depuis quelque temps, Causeur file un bien mauvais coton…
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