« Elles ne sont pas franches avec elles-mêmes, elles ne s'avouent pas leurs sens. – Elles prennent leur cul pour leur cœur et croient que la lune est faite pour éclairer leur boudoir. Le cynisme, qui est l'ironie du vice, leur manque, ou, quand elles l'ont, c'est une affectation. La courtisane est un mythe. – Jamais une femme n'a inventé une débauche. – Leur cœur est un piano où l'homme artiste égoïste se complait à jouer des airs qui le font briller, et toutes les touches parlent. Vis-à-vis de l'amour en effet, la femme n'a pas d'arrière-boutique ; elles ne gardent rien à part pour elles, comme nous autres qui, dans toutes nos générosités de sentiments, réservons néanmoins toujours in petto un petit magot, pour notre usage exclusif. »
G. Flaubert, lettre à Louise Colet, 24 avril 1852.
On imagine avec une certaine jubilation le rictus du pénible bas-bleu recevant ce bouquet d'orties, elle qui, quelques jours avant, demandait à son amant rouennais de “lui dire des tendresses” ! Dire des tendresses… Quelle débandaison brutale, pour ce malheureux Gustave, recevant une aussi pitoyable sommation ! Le plus comique, pour son lecteur d'aujourd'hui, est que, plein de bonne volonté, dans la même lettre dont j'ai cité deux paragraphes plus haut, il s'y essaie en effet. Comme il y est malhabile ! Comme il s'y montre emprunté ! Quel mal il semble avoir à se branler le cœur ! Si l'on n'était pas séparé de Croisset par une grosse cinquantaine de kilomètres, on entendrait d'ici ses ahanements de bon bœuf attelé à une charrue trop lourde.
Et ce n'est pas là tout son calvaire. Car s'entendre dire des tendresses n'est pas la seule exigence de la poétaillonne parisienne : elle veut aussi qu'on lui en fasse ; ce qui implique rencontre, journées et nuits communes, toute la lyre. Pour parer à ce demi-cauchemar, Gustave a son excuse toute prête ; toujours la même, burlesque à force d'être constamment resservie, mais efficace. On peut la résumer ainsi : « Il me reste à écrire cinq pages pour finir ma première partie ; donc, je ne pourrai pas bouger d'ici avant sept à huit semaines. Mais alors, quel délice de te revoir, etc. »
En somme, ce grand lâche – mais ne le sommes-nous pas tous, un peu ? – se cache derrière les jupes d'Emma Bovary pour tenter d'échapper à la griffe de Louise Colet. Pour achever d'horripiler la femme de chair qu'il vient de repousser aux calendes, il ne cesse de lui parler en long et large de celle de papier.
Et c'est précisément ce qui nous rend ces lettres à Louise Colet si précieuses.
En lisant cette lettre à Louise Collet, on se rend compte à quel point les femmes ont changé: aujourd'hui,c'est elle qui pourrait l'écrire au bon Gustave... D'ailleurs, n'est-ce pas ce que dit Zemmour ?( bon, d'accord,ça ne fait que du 7 %...)
RépondreSupprimerC'est curieux, j'ai l'impression exactement inverse : on se rend compte à quel point, malgré les discours enflammés et les grandes déclarations de principe, les femmes sont restées exactement les mêmes qu'alors.
SupprimerIl suffit de gratter un peu le vernis "culturel"…
Vous vous trompez. La lettre à Louise n'est pas de Flaubert mais de Beethoven.
RépondreSupprimerLequel était tellement sourd qu'il ne s'est jamais aperçu qu'il faisait de la littérature et non de la musique.
SupprimerLes femmes s'attrapent par les oreilles, et elles montent au septième ciel quand un soupirant leur déclame du Lamartine :
RépondreSupprimerUn seul hêtre vous manque, et tout est des peupliers.
"… et tout est peuplier" aurait été meilleur, non ?
SupprimerNous non… mais elles, oui !
RépondreSupprimernolite dare sanctum canibus neque mittatis margaritas vestras ante porcos
RépondreSupprimerLa séduction canonique d'une femme :
RépondreSupprimerJuliette est au balcon, et elle écoute Roméo qui est au rez de chaussée, où il grattouille sa mandoline, tout en glapissant des chansons langoureuses.
Mike Brand a voulu renverser la situation, et mal lui en a pris, comme chacun sait ou devrait savoir.
On ne change pas impunément une formule qui marche, et qui a toujours marché.
Tiens, mon dernier commentaire, niveau almanach Vermot, vient de disparaître !
RépondreSupprimerPas de mon fait, en tout cas !
SupprimerOui, peut-être… mais lui, il a un permis spécial !
RépondreSupprimerOn imagine en effet le drôle de rictus de la pauvre Louise qui recevait ce type de lettre alors qu'elle avait demandée qu'on lui dise quelques tendresses.
RépondreSupprimerMais votre billet n'est pas très équitable. Vous nous dites, avec beaucoup d'humour, que Gustave peinait à écrire ces tendresses mais vous ne nous montrez pas le résultat de cette peine. Nous aimerions découvrir ici le resultat de ses efforts. Est-ce pour nous inciter à lire cette correspondance ou est-ce pour qu'une de vos lectrice, un peu impétueuse, dénonce Flaubert à MeToo après vous avoir lu?
Car enfin, au début cet amour était partagé il me semble. Ce n'est qu'après le voyage en Orient que cela se gâte (votre extrait est de cette époque) et finalement en 1855 que Louise, lasse de ses rictus, annotera une lettre de Gustave en inscrivant et soulignant à l'adresse de celui-ci: "lache, couard et canaille".
« Est-ce pour nous inciter à lire cette correspondance ou est-ce pour qu'une de vos lectrice, un peu impétueuse, dénonce Flaubert à MeToo après vous avoir lu? »
SupprimerLes deux, Herr General !
Pour la suite, ce n'est pas Louise Colet qui a rompu avec Flaubert, mais bel et bien l'inverse.
Autre histoire de deux artistes caractériels :
RépondreSupprimerLe sculpteur Auguste Clésinger et sa belle-mémére Aurore Dupin, baronne Dudevant.
Auguste Clésinger avait épousé Solange Dudevant fille de George Sand et officiellement du mari, mais plus vraisemblablement d'un autre géniteur.
Les affaires du sculpteur se portaient mal : normal pour un artiste.
Le couple Clésinger vient demander des subsides pécuniaires à la vieille avare de Nohant, qui refusa tout net. La discussion tourna au vinaigre, et Auguste colla une tarte à George Sand. La mère et sa fille Solange furent fâchées durablement. La relation mère/fille est toujours compliquée, voire franchement toxique.
Les histoires de toutes ces icônes du féminisme sont insignifiantes, aussi insignifiantes que la médiocre Mare au diable, où vous ne trouverez pas plus de diable que de beurre en broche.
Ce pauvre Gustave n'avait rien compris au syndrome de Stockholm. Il faut dire qu'on ne l'avait pas encore découvert.
RépondreSupprimerSi je peux me permettre d'ajouter : peut-être que le réflexe de romantiser ses relations intimes est toujours lié à un sentiment d'absence de contrôle. Flaubert qui, en fin de compte, ne peut que contrôler les femmes, place son romantisme dans ses romans. En quoi est-ce moins bête, finalement?
RépondreSupprimerSauf qu'il me paraît bien difficile de classer Flaubert parmi les écrivains "romantiques". Dire que Madame Bovary est un livre romantique reviendrait un peu à dire que Don Quichotte est un roman de chevalerie…
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