Je cesse aussitôt de lire, brusquement transporté dans l'espace et le temps. Me voilà revenu au début des années soixante et dans le parc de la Chambre de commerce de Sedan. René, mon grand-père paternel, et moi sommes assis chacun sur une chaise paillée ; ses pieds raclent les gravillons du sol, les miens battent l'air. La Chambre de commerce élève sa masse formidable juste dans notre dos, nous avons tous les deux les yeux braqués sur le pigeonnier auquel nous faisons face.
C'est dimanche ; transportés dans de grandes malles d'osier, les pigeons ont été lâchés je ne sais où il y a déjà plusieurs heures. Et, maintenant, ils devraient arriver, bon sang ! Qu'est-ce qu'ils foutent, ces fainéants volatiles ? Patience, patience dans l'azur, comme disait Paul le Sétois… La récompense arrive finalement : un premier pigeon vient de se poser sur le rebord de la gouttière ! À présent, il s'agit qu'il rentre au bercail...
La colombophilie, dans ces moments-là, est une école de zénitude et d'endurance. Car, pour que le retour d'un oiseau soit homologué, il faut — en tout cas à cette époque dont je parle — s'en saisir et introduire la bague de sa patte dans une grosse (grosse aux yeux de l'enfant) horloge lourde et cubique. Mais comment l'attraper si cet imbécile s'obstine à musarder sur les tuiles du toit ? C'est ainsi que l'on perd de précieuses minutes...
René écrase les gravillons sous ses semelles, à force de trépigner d'impatience — et je trépignerais avec lui si mes jambes étaient assez longues. Heureusement, après avoir volé durant deux cents ou trois cents kilomètres, les voyageurs sont généralement affamés et s'empressent de rentrer au colombier pour se diriger en dandinant du croupion vers les grains de blé reconstituants. Mais il y a toujours des distraits, des flâneurs, des têtes dures, des ascètes, des provocateurs, des oiseaux de carême...
Cela, ce musardage faîtier, n'a pas empêché René, au fil des années, de grimper régulièrement sur la première marche du podium colombophile, comme en attestent les coupes dorées ou argentées alignées sur le buffet de la salle à manger.
Du moins en font-elles foi dans ma mémoire ; car, dans le monde matériel où nous traînons encore, nul ne sait ce que sont ces trophées devenus.
Ni les chaises paillées qui, à René et à moi, tenaient lieu de perchoirs jumeaux.
Saine occupation, très utile durant la guerre...
RépondreSupprimerÀ mon époque, c'était nettement plus ludique...
SupprimerDG
J'ai un copain (de votre âge, à peu près, c'est vous dire) qui a toujours son père... qui a sa maison plein de réponses suite à des "concours de pigeons".
RépondreSupprimerJe suppose qu'il faut lire "récompenses" là où est écrit "réponses"...
SupprimerDG
Oui. NJ
SupprimerCela c'est beaucoup perdu les concours de pigeons, mais ces malins de militaires qui ont bien compris qu'à un moment un pétard magnétique va mettre par terre le ternet, jour qui va en perturber plus d’un, ont conservé au “ Mont Valérien” le dernier colombier militaire.
RépondreSupprimerBon je vais m'inscrire comme pythie des blogueurs 🤣
SupprimerEn tout cas,
RépondreSupprimervous avez joliment restitué ce "très" vieux souvenir d'enfance...
B.
Voir "Le Vieux bleu", une BD de Cauvin et Walthéry. Souvenirs d'un coulonneux.
RépondreSupprimerPangloss