Claudio Magris a 85 ans, ce qui prouve bien que le temps passe, contrairement à ce que voudraient nous faire croire certains rêveurs pernicieux. De plus, il est italien, ce qui constitue un second motif de se réjouir. De lui, je ne connais qu'un livre, lu deux fois avec le même plaisir : Danube. Il s'agit d'une promenade ; ou d'un voyage ; ou d'une expédition, si l'on ne craint pas les mots qui ronflent un peu. L'important, est que nul autre que Magris, ce grand amoureux et connaisseur de la Mitteleuropa, ne nous sert de guide.
On tourne la première page pas très loin de Fribourg-en-Brisgau, à Donauschingen précisément, là que sort de terre la source du fleuve éponyme (et où je me souviens d'être allé avec mes parents, quelque part dans les années soixante), et quand on referme la dernière, on est au bord de la Mer Noire. Entre les deux, on a contemplé des paysages, on est entré dans des maisons, masures ou palais, on a découvert des peuplades, leur histoire et leurs histoires, on a goûté des cuisines locales. On a aussi, chemin faisant, fait la révérence devant Goethe, salué prudemment Kafka, adressé un petit signe fraternel à Joseph Roth puis à Élias Canetti, pris un verre ou deux avec le trio des roumains francisés : Mircéa Éliade, Panaït Istrati et Cioran. On n'a pas perdu son temps, à avaler ainsi les kilomètres ; ou, plutôt, on l'a perdu de la meilleure et plus agréable façon qui puisse être.
Revenu sur terre, je pensais en être quitte avec Claudio Magris.
Et voilà que, ce matin, m'étant plus ou moins perdu dans un lacis de chemins qui bifurquent, je me suis retrouvé à lire sa fiche ouiqui. Et que découvris-je ? Que mon Triestin — terroir qu'il possède en commun avec le merveilleux Italo Svevo que j'évoquais ici même il y a six ans — avait, à l'aube des années soixante-dix, consacré tout un livre à ce même Joseph Roth que l'on vient de laisser sur les bords du Danube, et à qui j'ai consacré plusieurs billets, que l'on retrouvera en tapant son nom dans la petite fenêtre idoine (juste à votre gauche, en levant un peu les yeux…).
Le titre de cet essai de jeunesse est celui que j'ai choisi à mon tour pour ce billet. Le sous-titre est : Joseph Roth et la tradition juive-orientale. Sortant de deux semaines passées dans la compagnie d'Isaac Bashevis Singer (lui aussi “chroniqué” dans ce blog), commander ce livre était évidemment un excellent moyen de ne pas quitter encore la dite tradition, qui exerce tant d'attraits sur ma goyesque personne.
Commande qui fut aussitôt passée.
Personne ne peut prouver que le temps passe et encore moins qu'il passerait plus vite aujourd'hui qu'hier. Un cycliste peut passer devant chez vous et avec un peu de matériel (un décamètre, un chronomètre) vous pouvez même estimer sa vitesse, c'est à dire le rapport de la distance par rapport au temps. Une colère noire peut ne pas passer car elle reste immobile en travers de votre gorge, sa vitesse dans ce cas est nulle. Mais si vous divisez (les lecteurs physiciens de ce blog direz "si vous dérivez") du temps par rapport à du temps, vous obtenez 1. Le temps ne bouge pas. Vous, moi, les meetoofettes passeront, mais le temps, lui, ne passe pas, il est.
RépondreSupprimerLa Dive
Mais le temps a de multiples acceptions, et il n'y a pas de raisons pour que celle des physiciens élimine toutes les autres !
SupprimerIl en va d'ailleurs de même pour le mot "race", littéralement confisqué par les généticiens (avec l'assentiment enthousiaste et répressif de tout une palanquée de crétins post-modernes).
DG