Un jour, quand je serai bien vieux, si le cancer et la crise cardiaque m'oublient, je repenserai à cette France d'avant, que plus personne ne connaîtra que moi – et quelques autres, aussi immobiles et silencieux que je le serai alors. Des images passeront, fugitives ; un peu pâlies probablement. Je ne bougerai plus de ce fauteuil, je m'astreindrai à une rigidité minérale ; ma femme sera morte, ou bien elle prendra soin de moi, de ce souvenir de mari que je serai devenu, à force d'application têtue.
Dans la glace de la salle de bain, si je puis encore m'y traîner, je croiserai un visage étrange, ridicule, grimaçant et funeste : ce sera moi, le moi d'alors. Ma main – que je vois m'échapper presque chaque jour, se transformer, bleuir, se montuer de veines inconnues – cette main tentera d'être ferme sur le manche de la brosse à dents. – Des dents que je n'aurai peut-être plus, ou alors des fausses, ridiculement blanches et régulières.
Mes chiens seront morts, j'en aurai d'autres, affublés de noms bizarres que je n'aurai pas choisis – ou alors j'aurai oublié. Ils s'efforceront de se comporter avec moi de manière naturelle – des manières de chiens : regard levé, attentif, et langue pendant sur le côté de la gueule. Catherine sera bien vieille, elle aussi, mais moins que moi, en dépit de nos états civils. Du reste, nous n'aurons plus d'états civils, rien que des états à demi sauvages, une courte période d'attente. On fera semblant de sourire encore, mais le cœur n'y sera plus – je le sais.
Un jour – sans doute très tôt le matin –, l'un de nous deux mourra. L'autre fera les gestes que l'on attend de lui, tout le monde sera parfait dans son rôle. La musique sera digne, et le cimetière est à deux pas (juste après la mare). Puis, le survivant rentrera à la maison, et se fera certainement des pâtes, parce que c'est le plus simple – dans ces cas-là. Si c'est Catherine la survivante, elle pleurera sans doute ; si c'est moi, on peut imaginer que je me bourrerai la gueule – et pleurerai pour finir ; mais des larmes d'ivrogne : pour un homme c'est plus digne.
Et, le lendemain, il faudra bien nourrir les chiens.
Ca va,Didier?
RépondreSupprimerMais qui a dit "lorsqu'un de nous deux mourra, je serai inconsolable"
Guitry ? Non, sans doute pas : il n'épousait que des femmes plus jeunes.
RépondreSupprimerSinon, oui, ça va très bien. J'aime bien, de temps en temps, écrire des textes pleurnichards : ça attendrit les bonnes femmes...
Guitry, possible.
RépondreSupprimerDommage, l'Ours repart demain, il aurait sans doute été sensible au casse croute de bucheron.
Fidel Castor, il connaît. Dites lui beanes à la mélasse. Avec l'accent ça donne : binnn à la m'lasss. Avec les saucisses pis les oeufs itou.
RépondreSupprimerEh ben dis donc, on ne peut pas dire que Jojo vous rende d'une folle gaieté !...
RépondreSupprimerEnfin, ça, c'est magnifique, et je le note : « et pleurerai pour finir ; mais des larmes d'ivrogne : pour un homme c'est plus digne. »
Je me répète, mais j'aime beaucoup votre blog : la vie littératurisée, dans son prosaïsme et ses lumières, ses broutilles et sa profondeur.
Je ne suis pas sûr de vous plaindre cher Didier. Je ne vous connais point, ni de fièvre ni de dedans. Il me semble pourtant que vous aurez eu une vie avant votre mort et dans ce moderne monde, c'est presque un privilège.
RépondreSupprimerOuais, mais avant de se coucher ça fout le bourdon, on se demande si on va se réveiller.
RépondreSupprimerça arrive plus vite qu'on ne le pense
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerj'ai supprimé le commentaire precedent,
RépondreSupprimerBises.
Ou comment siéger dans Goux gueule entre Phèdre de Racine et Flannery O'Connor...
RépondreSupprimerJe ne sais pas si ça attendrit les bonnes femmes, ça file le bourdon, tout simplement.
Bordel, arrêtez de faire des billets emouvants quand je suis plein. Merde quoi ! Rennes a perdu à marseille 4 0 ! C'est dramatique et vous nous racontez votre mort. Ça me donne soif.
RépondreSupprimerJe vous trouve bien pessimiste. Avec un peu de chance, la Corée du Nord, l'Iran ou le Pakistan, pour peu que leurs talibans parviennent prochainement au pouvoir à Islamabad, auront bien trouvé le moyen de déclencher une troisième guerre mondiale qui nous enverra tous à peu près en même temps ad patres, ne laissant sur terre que des cafards, des crabes et quelques autres bestioles auxquelles, avant de partir, il faudra quand même souhaiter bonne chance pour la remise en branle du processus évolutionniste (car, comme on dit, ça sera pas gagné).
RépondreSupprimer(Bon, il est grand temps que je me replonge dans les œuvres complètes du sous-commandant Marcos ou que je reprenne un abonnement au Monde diplocastr..., euh, qu'est-ce que je dis là ?, diplomatique, la trop grande fréquentation de votre blogue opère sur moi à la longue une métamorphose comparable à celle qui transformait jadis les Rigolus en Tristus, pour employer une image que ne pourront saisir que les anciens lecteurs du très progressiste Pif Gadget.)
Les différentes perspectives que vous évoquez, me semblent, pour la plupart, assez raisonnables. Et je ne vois pas au nom de quoi on vous ferait le mauvais procès de je ne sais quelle attitude qui aurait telle ou telle conséquence. Ne vous laissez pas bousculer par les envieux. Je suis avec vous. Bien fidèlement. Que signifie "montuer", par ailleurs ?
RépondreSupprimerLe sous-commandant Marcos? Encore un homme qui souffrait d'un problème d'image, sinon comment expliquer qu'il se soit fait connaître devant les caméras du monde entier sous ce ridicule sobriquet de SOUS-commandant, avec, sur sa tête, cette chaussette d'où émergeait cette sempiternelle pipe?
RépondreSupprimerManutara, d'accord avec vous pour la chaussette et la pipe, mais l'expression « sous-commandant » traduisait moins, semble-t-il, un problème existentiel de Marcos/Guillén Vicente (qui se fait du reste désormais appeler le Délégué Zéro) qu'une volonté de sa part de se démarquer de la floppée de militaires factieux qu'a connue depuis un siècle, au bas mot, l'Amérique latine (ou prétendue telle, mais ceci est un autre débat). Ainsi, certains ont vu dans cette étrange appellation une marque d'auto-dérision, et d'autres, l'affirmation (sincère ?) que le dirigeant de la rébellion néo-zapatiste n'entendait pas être une sorte de lider maximo (bon, Ignacio Ramonet, grand lecteur du blogue de Didier Goux, va encore se fâcher, là, mais tant pis) et se plaçait au contraire délibérément sous le commandement des Indiens Chiapas. Dans un cas comme dans l'autre, c'était, il me semble, plutôt louable (mais il est vrai que je suis parfois un grand naïf).
RépondreSupprimer@Fidel Castor:
RépondreSupprimerLa phrase est tirée d'un sketch de Guy Bedos: "lorsque l'un de nous deux mourra, je serai inconsolable pendant quelques semaines"
Malgré la bise qui mord, la pauvre vieille de somme va ramasser du bois mort pour chauffer Bonhomme...
RépondreSupprimerPov' Catherine...
Reconnaissons que c'est un plutôt beau texte.
RépondreSupprimerPersonnellement, dès la mise en bière terminée, je file à la banque ramasser les pépètes et je me casse loin de la pluvieuse Normandie !
RépondreSupprimer:-))
[Pitié ? Quelle pitié ?].
Nourrir les chiens...et le blog !
RépondreSupprimerQuel réalisme dans l'approche de la vieillesse et du vécu par l'autre de la mort.
RépondreSupprimerBeau texte. Merci
Oui, j'entends bien, monsieur Chievrou, mais vous ne m'enlèverez pas de la tête l'idée qu'il y a dans la vie du subcomandante, tapie dans l'ombre, une mère abusive et castratrice.
RépondreSupprimerOn imagine ce qu'aurait pu faire de cette histoire un Asturias ou un Marquez.
C'est fou comme ça bavarde, ici, pendant mon sommeil !
RépondreSupprimerÇa me fait penser à la chanson de Brel Les Vieux.
RépondreSupprimerDidier : Beh s'rait p'tet' temps d'se réveiller alors...
RépondreSupprimerDidier, l'essentiel est de claquer avec panache. Nous avons reçu récemment le faire-part du décès d'un ami étranger ( très âgé mais d'esprit acéré en dépit de ses 93 ans ). Le hic, c'est que notre adresse sur l'enveloppe était écrite de sa main... Atteint d'un cancer inextirpable, il s'est fait exécuter dignement, entouré de ses proches, dans la paix absolue. Le panard quoi !!
RépondreSupprimerPas demain la veille qu'on puisse faire ça en France...
Bon dimanche à vous deux.
Très beau texte. Bon dimanche.
RépondreSupprimerDites donc, tâchez d'être plus luron la semaine prochaine, sinon vous allez faire pâle figure après le tonitruant québécois qui vient de quitter la maison.
RépondreSupprimerAccessoirement et sans aucun rapport avec votre beau texte, préparez-vous à crever de chaud.
Je suis bien d'accord avec vous Mère Castor, on crève de chaud par ici et Bergotte et Swann prendront l'appellation de ...hot-dogs.
RépondreSupprimerDidier, rien que d'y penser, une impitoyable soif me tenaille...
Et votre texte est comme toujours très beau !
RépondreSupprimerMère Castor : message reçu, nous arriverons en bermudas à fleurs.
RépondreSupprimerPluton pour les chiens, vous ne verrez que Bergotte : Swann sera au chenil.
« En partant pour Levallois, j'ai déposé Swann au chenil le plus proche de chez nous, où il restera jusqu'à samedi matin. J'ai dû l'accompagner jusqu'à son petit enclos individuel, où il refusait d'aller sans moi. Puis, lui tourner le dos et m'éloigner, en l'entendant japper et "pleurer" derrière moi. Ensuite, j'ai passé le reste du trajet à me dire que je venais de l'abandonner ; ou, en tout cas, que c'est ce qu'il devait penser, lui. » –
RépondreSupprimerPfff ! Ça y est, ça va recommencer...
Chieuvrou, vous êtes cruel, de me rappeler ça ! En plus, comme je travaille vendredi, c'est Catherine qui va s'y coller, alors...
RépondreSupprimerChieuvrou, arrêtez ! Je culpabilise déjà de l'abandonner.
RépondreSupprimerQuoi, Madame Goux ? Vous voulez me dire que vous allez laisser votre époux dans un petit enclos individuel puis lui tourner le dos et vous éloigner, en l'entendant japper et pleurer derrière vous ?
RépondreSupprimerD'accord, vous êtes irremplaçable, mais il faudrait voir à pas charrier non plus...
Hum, hum... Trêve de plaisanterie, et toute cynophobie mise à part, vous me voyez sincèrement désolé. Promis, je ne recommencerai plus. Enfin, pas avant au moins un an, si Dieu (ou Allah, ou Bouddha ou le Grand Tout) me prête vie jusque-là.
C'est un beau texte —je dois avoir un côté féminin refoulé; d'ailleurs je passe trop souvent l'aspirateur. Je verrais bien un tendron de vos descendants (on en trouve toujours d'une façon ou d'une autre), lire ça avec émotion sur votre tombe, en guise de bénédiction, et les autochtones abonnés aux obsèques (il y en toujours) s'étrangler…
RépondreSupprimerPlus que "les vieux", de Brel, ça m'évoque une autre du même, intitulée La...la...la.., moins connue, mais superbe :
RépondreSupprimer"Quand je serai vieux je serai insupportable
Sauf pour mon lit et mon maigre passé
Mon chien sera mort ma barbe sera minable
Toutes mes morues m'auront laissé tomber..."