Sans doute sous l'influence de la lecture (terminée ce matin) du Journal de Gérard Pesson, je récoutais tout à l'heure (en essuyant la vaisselle...) ses Béatitudes – que l'on peut découvrir ici. Et me frappait à nouveau la difficulté que semble éprouver cette musique à s'extraire du silence, lequel tient pour elle à la fois de la matrice et de la gangue. Ces notes qui paraissent être le fruit, ou plutôt le reste d'un déchirement, celui d'un tissu musical dont on ignorera tout, se plaignent à voix exténuée (aux cordes le plus souvent) des efforts presque mortels qu'elles doivent fournir pour s'extraire de ce trou noir originel, et parfois ont un bref cri de rage (au piano), qui est un mouvement de révolte vite étouffé. En ce sens, et malgré sa ténuité, sa discrétion (au sens approximatif et sans doute abusif de ma part où Lévi-Strauss parle de quantité discrète), cette musique peut être dite forcenée, prise qu'elle est, vis-à-vis du silence dans une perpétuelle oscillation protestation/soumission, une résignation traversée d'éclairs. Le silence lui est une prison, et c'est par là que l'on peut parler véritablement, dans ce cas, de cellules mélodiques. C'est également cet enfermement du son qui me fait penser, presque à chaque audition, à l'Atlas de Michel-Ange, exposé à la Galleria dell'Accademia de Florence, qui agrippe à deux mains le bloc de pierre dont il cherche désespérément à extraire sa tête. Mais si, dans le cas du sculpteur, cet effet est produit par le non finito de l'œuvre, chez Gérard Pesson on semble avoir affaire, à l'inverse mais pour un résultat étrangement proche, à une musique “pas encore commencée”, fœtale, limbique – et, tout comme l'esclave de pierre, d'une force décuplée pour cette raison même.
Wouaaaaouw!
RépondreSupprimerJe reste sans voix...
Je retourne vite dans mon silence-prison.
Merci Monsieur Goux!
Vous devriez écrire plus souvent sur la musique (et moins sur (enfin bon (bref...))).
RépondreSupprimerC'est exact que l'emploi de " discret" est quasi une figure de style ici, par rapport au sens levistraussien, mais du coup ça donne à votre avis musical un envol métaphorique intéressant : introduction d'une césure, saut qualitatif.. bref tout ça...
RépondreSupprimerJe ne suis pas d'accord avec Philippe. Didier Goux, c'est un tout, à prendre ou à laisser.
RépondreSupprimerBien sûr que si l'on n'est pas d'accord avec lui lorsqu'il écrit sur un sujet politique et sociétal, il a une telle force d'écriture qu'on préfèrerait qu'il n'écrivît pas! C'est logique et humain ;)
Mais à mon avis, quelqu'un qui écrit aussi bien sur la musique et la littérature ne peut pas être totalement idiot, ptet même qu'il pense juste.
A la lecture de ce billet, je suis juste un peu moins ballot. Figurez-vous que je ne connaissais pas Gérard Pesson. je vais devoir le découvrir pour mieux comprendre toute les nuances de votre billet.
RépondreSupprimerPhilippe[s] : j'ose déjà à peine écrire sur la littérature, alors la musique... Ce n'est sans doute pas demain que vous m'y reprendrez !
RépondreSupprimerPour le reste, je sais bien que certaines choses finissent par devenir obsessionnelles et tourner à l'aigre. J'essaie de me soigner, vous savez...
Geargies : en fait, soyons clair et brutal : c'est limite snobinard !
Carine : n'ayez crainte : ce Pilippe[s]-là et nous (Catherine et moi) finissons toujours par nous retrouver quelque part en Beauce, sur les chemins de Chartres...
Yann : vous avez déjà les quelques extraits proposés par la Fnac et que j'ai mis en lien. Mais, évidemment, ça ne vous permettra guère plus que d'entrevoir à quel genre de musique vous avez affaire...
Didier, j'avais déjà passé ma cotte de mailles et mon heaume, prête au combat^^
RépondreSupprimerJ'ai un petit côté chevalier blanc, moi. Faut que je me soigne aussi.
C'est vraiment un très beau billet ! J'aime aussi beaucoup le livre de Pesson (avec son si beau titre : "Cran d'arrêt du beau temps") que j'ai découvert grâce au journal de qui-vous-savez... Si vous me permettez de pinailler un peu, la sculpture de Michel-Ange – qui appartient en effet au groupe des quatre "Prigioni" (prisonniers de la matière dont ils essaient de s'extraire) que l'on peut voir à l'Accademia – n'est pas une représentation d'Atlas, mais plus simplement un atlante (les trois autres sont désignés comme des "esclaves").
RépondreSupprimerEn fait, je m'aperçois que la statue est désignée en italien comme "Atlante" qui signifie aussi bien "atlante" que "Atlas" : c'est donc vous qui avez raison !
RépondreSupprimerCarine et Emmanuel F : je ne comprends pas ce qui se passe, vos commentaires sont arrivés dans ma boîte mails mais n'apparaissent pas sur cette page !
RépondreSupprimerPour Emmanuel, ceci...
Ah ben, ça y est, les voilà arrivés...
RépondreSupprimerQuissa?
RépondreSupprimerMais c'est chiant, ces commentaires qui arrivent quand ils ont le temps !
RépondreSupprimerEmmanuel : du reste, la position de cet Atlas montre bien qu'il aurait dû porter le monde...
A cette heure plus personne ne me lira... Tant pis, tant mieux !
RépondreSupprimerJe ne connais cet illustre compositeur qu'à vos yeux ( Didier et sa suite volcanique) mais à entendre les extraits du lien somme tout anti-comerciale (le stock est épuisé : 10 exemplaires c'est déjà ça...) je pense à la musique d'un groupe belge (moi et la frite, hein...) Univers Zéro. Daniel Denis à la batterie. Je me suis engueulé poliment avec lui, il y a quelques années : je trouvais son travail pictural trop orienté sozialiste... Mais je pense aussi à mes 14 ans quand mon frère (ce cultivé) me fit écouté des auteurs contemporains incroyables. Leurs musiques ressemblaient à une catastrophe de batterie de vaisselle qui tombait par terre. Le choc fut terrible ; plus jamais j'aimerais ces cons de temporains...
Enfin voilà, sieur Pesson ou Michel-Ange, c'est les beatles ou Bach ! Moi, (ça n'engage que moi, hi, hi...) c'est Glenn Gould. Son style. Sa décadence. Son humour. Et son avis. Et voilà...
Ou comment prendre plus de plaisir à la lecture d'un billet qu'à l'écoute de son objet...
RépondreSupprimerClotaire : en effet, j'étais au lit lorsque vous avez débarqué ici ! Pour la musique contemporaine, je crois (mais ce n'est que ma propre expérience) qu'elle demande à être en quelque sorte "apprivoisée", abordée de biais, ou par cercles concentriques de plus en plus resserrés. Elle demande aussi, certainement, un effort, celui de ne pas jeter l'éponge au premier contact, aussi rugueux soit-il. Se forcer à y revenir. Et encore. Au bout d'un moment, vous vous surprenez à ne plus comprendre ce que vous avez pu trouver de "discordant" dans ce que vous écoutez.
RépondreSupprimerDans mon cas, c'est la musique symphonique du deuxième XIXe siècle que je ne supportais pas d'écouter (Mahler, Bruckner, Strauss...). Eh bien, c'est par la mesure du XXe que j'y suis finalement venu, "à rebours" pour parler huysmansien.
En tout état de cause, cela n'annule pas L'Offrande musicale ou La Passion selon saint Matthieu. Les Beatles, en revanche, je vous les laisse volontiers.
Beuche : c'est que mon billet, comme quasiment tous les billets, est "facile"...
RépondreSupprimerVotre billet me fait penser à ce texte de Jean Clair, dans son Journal atrabilaire :
RépondreSupprimer«Il est étrange de ressentir combien la musique, Mozart surtout, semble toujours sur le point de confier quelque chose,et qu'au moment de se prononcer elle se brise, se tait et reprend. Ce qu'elle veut dire est au-delà du repos des mots et c'est dans cette tension que réside son inépuisable ravissement.
(...)
Ainsi du mythe d'Orphée, ainsi de la musique : confidence au-delà des mots, enchantement qu'un mot prononcé suffirait à briser.
Langage d'avant la langue, parole inaudible, confidence de l'in-fans, battement premier d'un oiseau qui n'arrive pas à se poser ou murmure incessant d'une émotion qui ne trouve jamais la pause d'une phrase et qui coule et qui coule encore. Il est comme le goût de ce qu'on a au bout de la langue, une montée douce-amère, le reflux d'une humeur venue du fond de la gorge et qui n'arrive pas à franchir la grille des sons articulés. Et cela continue jusqu'au sursaut final, quand un même silence engloutit les accords entendus et les mots qui n'auront pas été prononcés. C'est alors que l'on fond en larmes. »
Aah Didier, d'où mon "quissa", car je ne voyais pas le commentaire d'Emmanuel non plus.
RépondreSupprimerJe croyais que vous parliiez tout seul...
Pour moi, ça sera le Requiem, celui de Mozart bien sûr.
Et puis tout Schubert, tout Mendelsohnn, tout Bach par Glenn Gould (d'accord avec Clothaire, sans jeter ses grognements dans le micro quand il joue Bach. Gould, pas Clothaire).
Et tout Beethoven, y compris ses charmantes danses allemandes.
RépondreSupprimerBen moi ça serait plutot Miles Davis, mébon, je ne veux froisser personne.. donc aussi Haydn, ou Haendel.. ou Purcell.. tout ça quoi!
RépondreSupprimerBeuche : je comprends ce que vous voulez dire, mais je crains que la comparaison ne soit guère à mon avantage...
RépondreSupprimerCarine : il est tout de même dommage d'ignorer la musique de son siècle...
Geargies : malheureux, ne parlez pas de jazz ! vous allez nous rameuter le camarade Dorham...
@Didier : bon je suis d'accord avec votre raisonnement, cela va de soit.
RépondreSupprimerPour les Beatles c'est suite à un bouquin sur les entretiens de Gould avec un journaliste rock (je sais plus mes sources mais c'est connu) où le journaliste défend ses scarabées bruyants et Gould les condamne sans amnistie possible. Mais j'ai réservé un disque du sieur Pesson. (voyez je vous écoute...)
@Carine : mais je grogne aussi ! et très fort ! surtout sur les triolets à 140 à la noire...
Et tout Georges, y compris ses charmantes danses ouzbèques.
RépondreSupprimer(Exopalie)
Mais c'est mon siècle, Didier!
RépondreSupprimer@Georges:
RépondreSupprimerles danses d'Ossétie du nord ne sont pas mal non plus. Je me souviens de l'année de la canicule: les pauvres souffraient sous leurs grosses pelisses. Un enfer. mais que c'est beau!
HOIOTOHO ! Carine et Georges ont opéré leur jonction : tous aux abris...
RépondreSupprimerEt Didier a poussé son drôle de cri de guerre!
RépondreSupprimerMoi non plus, je ne connaissais pas Gérard Pesson. J'ai écouté l'extrait sur lequel vous nous renvoyez, mais c'est trop peu pour aimer ou non; en revanche j'ai mieux saisi votre idée d'enfermement du son, d'arrachement au silence.
RépondreSupprimerPesson, c'est bien cette salade qu'on récolte en été, dans les sources claires de la montagne corse ?
RépondreSupprimerorlerbel
RRhhhooo mais qu'il est mal agréable!
RépondreSupprimerLe Coucou : oui, évidemment, ces extraits "fnaqueux" ne valent pas tripette, j'avais prévenu...
RépondreSupprimerGeorges : je savais bien que j'allais vous agacer si je "parlais musique"...
Pas du tout, vous vous trompez. D'ailleurs je n'ai lu que les commentaires.
RépondreSupprimerVous voyez, même chez Georges, y a du Pesson.
RépondreSupprimerVous trouverez une intéressante interview de Gérard Pesson ici :
RépondreSupprimerhttp://www.yanp.com/index.php?option=com_content&view=article&id=59:gerard-pesson&catid=52:papier-a-musique&Itemid=62
"Mes Béatitudes" se trouve en intégralité sur Deezer (j'irais bien jusqu'à dire que c'est un chef d'oeuvre).
L'anonyme, c'est moi (hum).
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