Que l'art soit en train de mourir (ou d'entrer en profonde léthargie pour un temps indéterminé) fait de moins en moins de doute, en tout cas à mes yeux et à quelques autres. Mais il ne meurt pas uniformément. Par exemple, il me semble que la littérature n'est encore qu'agonisante alors que la musique est, elle, tout à fait froide déjà. J'en veux pour preuve (une toute petite preuve et parmi cent autres qu'on pourrait trouver et énoncer facilement) ce qui s'est passé sur ILYS il y a quelque jours. Dans un billet, le jeune Cherea écrivait au détour d'un paragraphe :
En effet, prenez le début des années 90, Gainsbourg est mort, rien de génial au niveau musical en France…
Un peu choqué tout de même par cette assertion tranquille, je lui ai alors répondu ceci, plus ou moins par provocation amicale bien entendu :
Je ne voudrais pas faire mon snob, mais enfin, de quoi parlez-vous ? Au niveau musical, comme vous dites, il s’est passé beaucoup de choses, dans les années 1990, en France. L’essentiel de l’œuvre d’Olivier Greif a été composée durant cette décennie-là, un certain nombre de pièces maîtresses de celle de Philippe Hersant également, les pièces pour violoncelle de Dusapin, et je pourrais vous citer une dizaine d’autres noms encore, dont ceux de Gérard Pesson ou de Michèle Reverdy. Sans compter que le vieux Boulez n’est pas non plus resté inactif, ni l’encore plus vieux Henri Dutilleux.
Et ensuite ? Ensuite, rien. À part une petite pirouette humoristique d'XP sur le nom d'Hersant, rigoureusement rien. Cherea s'est abstenu de me répondre, les autres aussi, chacun se comportant comme on le fait lorsque quelqu'un laisse échapper un vent à table ou que son esprit se met à battre la campagne : on n'a rien entendu ni senti. Et tout le monde a continué de débattre sérieusement des mérites comparés des raps américain et français.
Je me suis alors dit que si on transposait cela à la littérature, les gens d'ILYS, plus cultivés que beaucoup, seraient les premiers à se moquer et à cribler de leurs sarcasmes les responsables d'une telle bouillie. Imaginons la transposition : l'un énonce que, depuis la mort de Guy des Cars, il ne s'est rien écrit d'intéressant en France. Un autre passe derrière et s'émeut un peu : « Oh, tout de même ! Pierre Michon, Michel Houellebecq, Eugène Nicole, Éric Chevillard, François Taillandier, Michel Chaillou, Emmanuel Carrère, Richard Machin, Jean-Paul Tartempion… » Le lendemain, il s'aperçoit que son intervention a chu dans un silence remarquable et que tout le monde s'est remis à discuter des mérites comparés de Jean Bruce et de Gérard de Villiers, la littérature n'étant plus désormais que polardeuse et exclusivement vendue 6,10 € dans les kiosques de gare. Le malheureux garçon, un peu déstabilisé tout de même, se rend compte alors que ce n'est pas tant que la littérature ait défunté, mais qu'elle se soit transformée en tout à fait autre chose qu'elle-même.
Un peu comme le peuple de France, au fond.
En effet, prenez le début des années 90, Gainsbourg est mort, rien de génial au niveau musical en France…
Un peu choqué tout de même par cette assertion tranquille, je lui ai alors répondu ceci, plus ou moins par provocation amicale bien entendu :
Je ne voudrais pas faire mon snob, mais enfin, de quoi parlez-vous ? Au niveau musical, comme vous dites, il s’est passé beaucoup de choses, dans les années 1990, en France. L’essentiel de l’œuvre d’Olivier Greif a été composée durant cette décennie-là, un certain nombre de pièces maîtresses de celle de Philippe Hersant également, les pièces pour violoncelle de Dusapin, et je pourrais vous citer une dizaine d’autres noms encore, dont ceux de Gérard Pesson ou de Michèle Reverdy. Sans compter que le vieux Boulez n’est pas non plus resté inactif, ni l’encore plus vieux Henri Dutilleux.
Et ensuite ? Ensuite, rien. À part une petite pirouette humoristique d'XP sur le nom d'Hersant, rigoureusement rien. Cherea s'est abstenu de me répondre, les autres aussi, chacun se comportant comme on le fait lorsque quelqu'un laisse échapper un vent à table ou que son esprit se met à battre la campagne : on n'a rien entendu ni senti. Et tout le monde a continué de débattre sérieusement des mérites comparés des raps américain et français.
Je me suis alors dit que si on transposait cela à la littérature, les gens d'ILYS, plus cultivés que beaucoup, seraient les premiers à se moquer et à cribler de leurs sarcasmes les responsables d'une telle bouillie. Imaginons la transposition : l'un énonce que, depuis la mort de Guy des Cars, il ne s'est rien écrit d'intéressant en France. Un autre passe derrière et s'émeut un peu : « Oh, tout de même ! Pierre Michon, Michel Houellebecq, Eugène Nicole, Éric Chevillard, François Taillandier, Michel Chaillou, Emmanuel Carrère, Richard Machin, Jean-Paul Tartempion… » Le lendemain, il s'aperçoit que son intervention a chu dans un silence remarquable et que tout le monde s'est remis à discuter des mérites comparés de Jean Bruce et de Gérard de Villiers, la littérature n'étant plus désormais que polardeuse et exclusivement vendue 6,10 € dans les kiosques de gare. Le malheureux garçon, un peu déstabilisé tout de même, se rend compte alors que ce n'est pas tant que la littérature ait défunté, mais qu'elle se soit transformée en tout à fait autre chose qu'elle-même.
Un peu comme le peuple de France, au fond.
Z'auriez pu parler de Mylène Farmer et qui a sorti 5 ou 6 albums dans ces années là.
RépondreSupprimerIlys a tort : la fin de la grande musique doit être datée de la disparition de M. Jackson, tu le sais bien !
RépondreSupprimerNon, ce n'est pas la mort de la musique ou de la littérature, c'est la mort de l'intelligence : a partir du moment où n'importe quel blaireau peut créer un blog prétendument culturel et donner des avis définitifs sur tout et principalement sur ce qu'il connaît le moins, on atteint le degré zéro de la culture, et on le dépasse de façon irréversible dès lors que ce bloggeur a des lecteurs et des commentateurs !
Je ne lis pas ILYS et je préfère les blogs de cuisine : là, les propositions sont concrètes, vérifiables et jugeables par tous ! Celui qui propose une recette avec 150 g de sel dans son cheesecake, on peut le traiter de gros naze sans se faire insulter...
Didier ressent la frustration du blogueur qui, sûr de la pertinence de son commentaire, ne recueille que l'écho du vide.
RépondreSupprimerVous avez oublié Danielle Sallenave dans votre liste, qui vient d'entrer à l'Academie Francaise...
RépondreSupprimerGeargies.
La blogosphère est vide. C'est une saloperie piégeuse où se déversent les égos et les névroses.
RépondreSupprimerDe celà je suis désormais convaincu.
C'est une maladie singulière, très warholienne, où celui qui ne compte pas et n'a jamais compté, se croit autorisé à donné son avis et ne sait quoi répondre au premier contradicteur venu.
RépondreSupprimerQuand on est vieux, il ne faut pas jouer avec les Djeuns.
RépondreSupprimerSigné : le conflit des générations.
Pour revenir à la musique, tu sembles affirmer que la musique serait froide... Il y a malheureusement presqu'autant de compositeurs contemporains que de bloggeurs ce qui laisse à penser que leur production pourrait effectivement avoir la même qualité : aussi inécoutable pour les uns qu'illisible pour les autres... cependant, il ne faudrait pas pécher par manque de connaissance... Prenons Gorecki par exemple... Ou Frisina... et tant d'autres qui n'ont pas l'heur de plaire à France Cul !
RépondreSupprimerIl me semble que l'article de Cherea avait pour sujet la musique dite populaire, fortement influencée par les changements de moeurs et donc comme reflet de la société. La musique savante en est largement exempt, je sais bien qu'on peut affirmer le contraire (mais les arguments concernent bien plus le milieu que la musique elle-même-la difficulté de critique de son avant-garde, par exemple, cf Duteurtre) en tout cas, il me semble difficile d'analyser le monde actuel par son biais, si c'est le cas je suis ouvert aux lectures.
RépondreSupprimerNicolas : élitiste !
RépondreSupprimerAntoine : j'étais presque sûr que tu allais me rebalancer Jackson ! Cela étant, j'ai du mal à voir le lien entre la disparition de la musique de la vie publique et l'existence des blogs…
Fredi : mais non, aucune frustration. Un simple étonnement.
Geargies : c'est que je ne l'ai jamais lue, cette dame. Sans doute à tort d'ailleurs.
message précédent d'IS
RépondreSupprimerAntoine : froide au sens où l'on parle de "viande froide" : morte, en un mot.
RépondreSupprimerIl Sorpasso : je ne mets pas en cause l'article de Cherea lui-même, mais il me paraît bien symptomatique de ce que je voulais dire, et votre commentaire itou, par les mots qui y sont employés (musique savante, ou musique populaire entre autres). Reprenez ma comparaison et parlons de littérature (sans précision aucune) pour désigner les SAS ou les Harlequin, et de littérature savante si l'on veut signifier que l'on fait plutôt référence à Jean d'Ormesson ou Philippe Delerme : la musique en est à peu près là.
Du reste, la littérature n'en est pas très loin puisque des Brassens, des Brel, des Ferré, voire des Ferrat sont désormais très naturellement estampillés poètes.
IL faudrait que je prenne du temps pour aller "voir" cette musique là.
RépondreSupprimerJe déteste Boulez, c'est dit, Dutilleux je connais un peu, les autres illustrent mon inculture dans ce domaine.
Vous dites que l’art est mort. C’est possible, je ne saurais dire. Il me semble tout au moins que, en Europe, il est mal en point. N’y aurait-il pas un rapport entre la décadence politique de l’Europe (qui a aujourd’hui pour nom « construction européenne ») et sa décadence artistique ? Plus largement, n’y aurait-il pas un rapport entre les régimes politiques et les formes artistiques, entre la vitalité politique et la vitalité artistique ? Pierre Manent en parle plus ou moins dans « Le regard politique » (et c’est une question que je me souviens l’avoir entendu évoquer lors de son séminaire). Au reste c’est une idée que l’on trouve chez nombre de grands auteurs, Platon, Rousseau, Tocqueville, etc. Bref, je soumets cette suggestion à votre sagacité d’écrivain en bâtiment.
RépondreSupprimerC'est magnifiquement rédigé.
RépondreSupprimerTu ferais un bel écologiste-naturaliste, laudateur de la petrification de ce petit bout de terre, la France.
Bien à toi
Moi, j'aime bien les commentateurs de blogs qui estiment que les commentateurs de blogs sont tous des cons. C'est "connais-toi toi-même" et
RépondreSupprimer"je mens toujours" : de l'onanisme
réducteur (s'ils ont encore quelque chose à réduire).
Boutros : pas tous ! mais la plupart ;-)
RépondreSupprimerDidier, j'avais bien compris l'utilisation de 'froide', j'arrive encore à saisir les sens second des mots, peut-être plus pour longtemps !...
La culture serait-elle morte et l'art avec elle, comme semble le penser Aristide ? je ne le crois vraiment pas : il y a des artistes géniaux dans leur domaine et dans tous les domaines... Mais leur classicisme déplaît aux médias et à la médiocratie ambiante alors on les passe sous silence... Il y a effectivement peu d'Etats où la musique accompagne encore la vie publique... C'est pour cela que j'ai donné l'exemple de Frisina qui a beaucoup (exclusivement) composé pour le Vatican... L'Angleterre a encore des compositeurs de la Couronne et ça donne des choses superbes : toujours un exemple religieux, la messe composée pour la venue de Benoît XVI.
Bref, l'art est bien vivant mais le snobisme tente de le tuer, la médiocrité aussi, car l'art est réservé aux génies et affirmer cela c'est couper les ambitions de tous les crétins qui s'imaginent pouvoir être reconnus comme artistes parce qu'ils ont étalé leur m... sur leurs draps... Un peu comme la téléréalité : tous les cons s'imaginent pouvoir être célèbres... un peu comme les blogs : tous les P4 estiment pouvoir penser et pire, écrire !
Bien sûr, cela ne vaut pas pour le présent blog qui est un véritable blog d'artiste, bien entendu ;-))
Antoine, mon ami, vous devenez ironique, faisez gaffe à les retours de canivelle qui vous feront mordre le maniveau.
RépondreSupprimerJe n'ai malheureusement pas une culture musicale aussi étendue que la vôtre, suggérée par le billet. Mais pour celle que j'ai et qui me donne du bonheur quelquefois, la domination de plus en plus évidente de la merde me fait partager sans réserve votre avis.
RépondreSupprimerJe ne l'ai pas lue non plus, Sallenave, mais c'était une copine d' Aragon. Et il n'a pas pu se tromper toutes les fois , hein?! ;-) Geargies.
RépondreSupprimerPour une fois, vous êtes encore trop optimiste, Didier. Personnellement, il m'arrive d'écouter du Greif, du Pesson, du Schnittke ou du Rautavaara.Mais dans 50 ans, personne n'aura jamais entendu parler de ces gens-là, et ce n'est pas si grave que cela. Richard Strauss est mort en 1949. Chostakovitch en 1975. La création musicale peut encore exister ponctuellement après. Mais l'histoire de la musique, comme nous l'entendons, est terminée depuis près de 40 ans. C'est fini. Rideau.
RépondreSupprimerDe toute manière, depuis le début du XXème siècle, l'histoire de la musique n'a fait que se survivre à elle-même. Personne n'écoute du Schönberg , du Webern, du Stockhausen ou du Boulez pour le plaisir (Berg est une exception merveilleuse- la Suite lyrique c'est de la beauté pure). Strauss, Chostakovitch, Britten, Vaughan Williams, Barber, Pizzetti, Bax (clin d'oeil) ont pu avoir un certain public mais étaient déjà rétrogrades à leur époque... Maintenant la musique c'est Lady Gaga. Et Lady Gaga seulement.
Mon pov'K2r ..c'est vous qui êtes gaga...
RépondreSupprimerGeargies.
Une société sans Dieu, sans mythe, sans métaphysique peut-elle produire de l'art?
RépondreSupprimerUne société comme la France qui est devenue une sorte "d'open space", sans "forme" et sans identité peut-elle produire de l'art.
Un pays qui a écrasé son artisanat jugé par trop ringard ou pas assez "New age" peut-elle produire de l'art.
Toutes ces questions ont été posées par Claude Lévis Strauss ou plus récemment par Jean Clair dans "L'hiver de la culture "
http://www.lefigaro.fr/culture/2011/03/08/03004-20110308ARTFIG00483-la-charge-de-jean-clair-contre-les-derives-de-l-art.php
P Sollers parle de "musaque" au lieu de musique
Bref un jardinier sans pommier peut-il produire des pommes?
RépondreSupprimerThe Muzak Holdings Corporation is a major supplier of business background music.
RépondreSupprimerCe n'est pas une invention de P Sollers...
Tiens, c'est réjouissant de lire dans la foulée : « Aimé Césaire, poète pompeux et boursouflé » et « Aragon [...] n'a pas pu se tromper toutes les fois, hein?! ».
RépondreSupprimerJe l'aime bien, votre blog, M. Goux.
Musak est l'appellation de la "music" d' ascenseur... Ohlala faut tout esspliquer... ;-) geargies
RépondreSupprimer