C'est un petit livre qui ne cherche pas les histoires ; qui murmurerait à l'oreille des chevaux, s'il y avait des chevaux dans le paysage, mais il n'y en a pas. Il y a un vieil écrivain presque octogénaire qui, une nuit, rêve de sa grand-mère et qui, au réveil, décide de lui rendre visite, bien qu'elle soit morte depuis soixante ans. Mais, contrairement à sa première impulsion, il ne part pas tout de suite, diffère son voyage d'une couple d'heures – qui constituera plus ou moins le temps global du récit, puisqu'elle sera employée à ressusciter la maison des faubourgs champêtres de Bruges où le petit Charles Bertin a passé tous ses étés, entre six et douze ans, en tête à tête avec sa grand-mère.
Au début du récit, la Petite Dame du titre n'est que cela : la grand-mère ; non une personne fugitive et changeante mais un emploi éternel. Une évidence immuable. Aux yeux du très jeune garçon des premières pages, elle paie d'ailleurs cet emploi de statue par une vie chichement accordée : c'est à peine si elle parvient à se détacher du labyrinthe de feuillage fleuri où l'enfant passe le plus clair de son temps, libre et solitaire.
Mais voilà qu'elle sort du cadre pour devenir Thérèse-Augustine, une personne de chair, munie d'un passé, de qualités, de manies, de regrets, de colères, d'un visage et d'un fauteuil ; bref : de tout ce qui compose une grand-mère unique. Entre elle et l'enfant, il ne va pas y avoir seulement transmission d'héritage, passation de souvenirs : le couple estival qu'ils reforment année après année sera aussi le creuset d'un double apprentissage, celui de la lecture, de la découverte, de la connaissance ; toutes choses dont Thérèse-Augustine a été spoliée dans sa propre enfance, sacrifiée qu'elle fut par des parents peu riches sur l'autel d'un avenir réservé par décret à ses deux frères.
Que l'enfant grandisse encore un peu, et c'est la sortie du jardin et de la maison, l'apparition de Bruges – une Bruges fourmillante et joyeuse, explicitement inscrite en faux contre -la-Morte de Rodenbach – et enfin l'échappée vers la mer et la promesse du grand large.
En fait de grand large, c'est le rétrécissement de toute choses, prélude à la mort, que va connaître Thérèse-Augustine, symbolisé par la perte de la maison de Bruges et le confinement dans un triste et étriqué appartement bruxellois. Parallèlement, Charles paie son entrée dans l'adolescence par un éloignement de sa grand-mère, une incapacité (ou est-ce une réticence ?) nouvelle à entrer en contact immédiat avec elle.
Au bout de ses deux heures d'évocation immobile, le vieil homme prendra la route pour aller rendre visite à sa grand-mère, déchainant immédiatement, par cette sorte de transgression de l'ordre naturel, des trombes de pluie sur l'autoroute, qui l'isolent aussi sûrement que le faisait l'exubérance végétale du jardin de Bruges. Il renoncera finalement à une confrontation vaine avec la maison de Thérèse-Augustine et filera directement vers la mer, sous des nuages qui se déchirent et s'ensoleillent.
L'écriture de ce récit a, dans ses premières pages, la couleur des temps qu'il évoque, le parfum de violette qu'adoraient les grands-mères. Elle se fait plus sautillante lorsque le monde s'ouvre, pour se résoudre en un adagio que je qualifierais de sostenuto si je n'avais pas peur de passer pour plus pédant que je ne suis déjà. C'est à peine si l'oreille en perçoit les dernières notes, aussi ténues que le souffle de Thérèse-Augustine en ses dernières heures, bruxelloises et confinées.
L'éditeur a choisi d'illustrer la couverture du volume avec un détail d'un tableau de Théo van Rysselberghe, La Dame en blanc, et il a fort judicieusement fait, puisque le peintre était le mari de cette Maria van Rysselberghe qu'André Gide avait surnommée La Petite Dame.
Je voudrais ce livre là, maintenant, tout de suite.
RépondreSupprimerMerci pour ce billet apéritif !
L'apéritif à neuf heures du matin ? Nicolas, sortez de ce corps, bon sang !
SupprimerSuzanne, nan, je suis en train de le lire et c’est délicieux.
Supprimer"apéritif", c'était pour "ouvre l'appétit". Et pour l'appétit de lecture, il n'y a pas d'heure. (pour l'apéro non plus, dira Nicolas. Enfin, dirait, s'il lisait un billet consacré à un LIVRE, ce qui est impossible).
SupprimerMais qu'est-ce qu'elle est fielleuse, la Suzanne !
SupprimerVous ne me diriez pas cela si je n'étais pas une femme.
SupprimerExact : j'aurais dit “fielleux” à ce moment-là.
SupprimerMais si vous préférez fiellatrice, je peux aussi…
SupprimerTout ça parce que vous ignoriez le vrai sens du mot apéritif. On les voit au pied du mur et dans toute leur faiblesse, les réacs de la langue française.
(fiellatrice, ha ha ha !)
Ah ! Je suis stigmatisé, ici !
SupprimerA tort, d'ailleurs, j'ai lu tout le billet.
A tort, aussi, j'espérais que la conclusion allait être rigolote.
Que voilà un billet charmant qui laisse augurer du charme de ce livre !
RépondreSupprimerQuelle grand-mère ne rêverait pas d'être comme "La petite dame en son jardin..." pour ses petits-fils ?
Je ne puis que vous le conseiller, en effet.
SupprimerMerci, me voilà mise en appétit.
RépondreSupprimerC'est déjà plus raisonnable que l'apéro…
SupprimerVous lui dites ça parce que c'est une femme.
Supprimer(enlevez cette modération des commentaires, sinon, comment voulez-vous qu'on discute ?)
SupprimerRe-exact : c'est très laid, une femme qui boit…
SupprimerC'est bon, je veux bien ressayer…
SupprimerDe toute façon ce ne sera que jusqu'à vendredi : après je pars pour neuf jours et les commentaires seront fermés.
(du coup, je n'ai plus rien à dire)
Supprimer(ça fait du bien).
SupprimerBon, si je comprends bien, c'est de la littérature pour bonne-femme, non ?
RépondreSupprimerTiens, vous me faites penser à la mienne de grand-mère. La dernière fois que je l'ai vu c'était dans le métro et je ne suis pas certain qu'elle m'ait reconnu…
RépondreSupprimerPour le coup je vais prendre un apéro…
et j'irai acheter le livre bien sûr.
SupprimerJe viens de terminer ce petit bijou que je vais présenter sur mon blog début octobre. C'est en pianotant sur internet que je suis tombée sur votre bel article.
RépondreSupprimerJe ne pouvais qu'être touchée par ce magnifique ouvrage. J'adorais ma grand-mère paternelle. J'avais avec elle, une complicité extraordinaire...
Qu'est-ce que je disais ?
SupprimerUne connerie, comme souvent…
SupprimerFacile !
SupprimerLa perche était tendue…
SupprimerMerci pour ce commentaire sur un livre de souvenirs. Je le lirai tout prochainement, ce sont les billets qui sont les plus agréables, cher Didier.
RépondreSupprimerEt y'a du cul ?
RépondreSupprimerça m'a l'air plutôt cul-cul.
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