Notes prises après lecture de la première moitié du roman de Michel Butor…
La Modification, qui se passe entièrement dans un wagon du train de jour
Paris-Rome – pour ce qui est du temps présent du récit, de son
“maintenant” –, ressemble en fait à une grande gare ; de celles dont on
devine la proximité bien avant d'y entrer, par la multiplication de plus
en plus grande des voies ramifiées, qui finissent par former un
écheveau indémêlable. De même ici, les trajets entre Paris et Rome se
démultiplient rapidement et s'enchevêtrent dans le temps. Le personnage principal…
(Mais
comment le désigner, celui-là ? Il n'est pas narrateur, bien que
l'emploi par l'auteur de la deuxième personne du pluriel, du vous “de politesse”, donne souvent l'impression étrange qu'il l'est tout de même. L'interlocuteur
ne va pas non plus car, malgré la forme employée, on sent bien que
l'auteur ne s'adresse pas réellement à lui ; ou alors comme un procureur
général s'adresse à un accusé, sans possibilité pour ce dernier de
répondre, de se justifier. Il faudrait trouver un nouveau mot, mais
lequel ? L'adressé ? L'épinglé ? L'admonesté ? Aucun n'est satisfaisant,
bien entendu.)
Donc le personnage principal, qui se prénomme Léon, mais à peine, comme ça en passant, le personnage quitte Paris pour gagner
Rome : c'est un départ, une échappée. Lorsque les voies de ma gare se
démultiplient, on le voit également faire le trajet inverse et rentrer
à Paris : le retour à la normale, la réintégration. Dans le même
mouvement, il quitte sa femme (et aux deux sens du terme) pour rejoindre
sa maîtresse, Cécile. À l'inverse, cette dernière, Française de mère
italienne, lors de certains voyages du passé qui sont évoqués, quitte Rome pour Paris, avant de rentrer à Rome : échappée et réintégration contraires à celles de son amant.
Lorsqu'il
est à Paris, loin de Cécile, Léon cherche à recréer une Rome imaginaire où il serait avec Cécile
; en route vers Rome (dans le temps présent du récit), il se voit y
errer seul dans le futur, lorsque Cécile sera rentrée définitivement à
Paris, pour l'y rejoindre. Nul n'est jamais vraiment, entièrement où son corps se trouve,
les deux amants ne sont jamais réellement ensemble, sauf peut-être dans
l'un de ces trains qui assurent la liaison entre ces deux points fixes,
finalement inaccessibles, que sont les deux capitales : La Modification est une sorte de roman bipolaire.
Et
c'est bien parce que, entre les deux villes comme entre les deux
amants, ne semble pouvoir exister que ce qui est instable, fuyant, que
le lecteur comprend vite que ce train dans lequel on l'a embarqué en
réalité fonce droit dans le butoir.
Il reste qu'on se
sent toujours un peu ridicule et sot, à découvrir ainsi un roman
illustre, que tout le monde connaît de fond en comble depuis plus de
cinquante ans ; et légèrement prétentieux de prétendre en parler après n'en avoir lu que la moitié.
Un roman illustre, que tout le monde connaît de fond en comble depuis plus de cinquante ans...
RépondreSupprimerTout le monde ? De fond en comble ? Un peu comme les électeurs de gauche connaissent La Princesse de Clèves ?
C'était une clause de style…
SupprimerMais est-ce que c'est bon? Ou bien un de ces "classiques de l'ennui"? (Question non rhétorique).
RépondreSupprimerC'est vraiment enthousiasmant. Je ne lâche plus le livre depuis hier. Et c'est beaucoup plus riche et foisonnant que ce que mes pauvres notes hâtives peuvent faire accroire.
SupprimerJe l'ai lu deux fois il y a très longtemps et j'avais aimé l'ambiance. Je l'avais lu presque en même temps que l'après-midi de monsieur Andesmas de la Duras, il faisait partie d'un lot qu'on m'avait offert. Cela me donne envie de le revisiter, histoire de mesurer la distance.
RépondreSupprimerEt Georges il dit quoi de "La Modification" "que tout le monde connaît de fond en comble depuis plus de cinquante ans" ?
RépondreSupprimerFichez-lui donc la paix, à Georges ! Après, vous viendrez encore vous plaindre qu'il vous a tiré les nattes à la récré…
SupprimerLa modification que je n'ai pas lu, suite à votre description me fait penser à un roman dont nombre m'a parlé et que je n'ai pas lu et qui est Marelle de Julio Cortazar. Si quelqu'un a lu les deux, pourrait-il nous éclairer et nous dire s'il y a une ressemblance entre les deux.
RépondreSupprimerJ'ai lu Marelle il y a plus de trente ans, donc mon avis est fortement sujet à caution ! Néanmoins, je crois pouvoir affirmer que les deux romans n'ont rien à voir l'un avec l'autre. Ne serait-ce qu'en raison de l'abondance des dialogues chez Cortàzar et de leur quasi absence chez Butor. De plus, à tant faire que de lire l'Argentin, mieux vaut, je crois, choisir ses nouvelles (celles d'avant les années soixante-dix, c'est-à-dire avant sa “maladie gauchiste”…).
SupprimerMonsieur Goux a raison, lire par exemple "Les armes secrètes", recueil de nouvelles de Julios Cortàzar, ne manque pas d'intérêt, passionne.
SupprimerOui, excellent recueil. Ou encore Ious les feux le feu ou Octaèdre.
SupprimerSinon, l'ensemble des nouvelles a été réuni, voilà quelques années, en un seul gros volume, chez Gallimard.
Tous les feux, et non Ious…
SupprimerE pericoloso sporgersi ... et une vague odeur de café mêlée à celle de pissotières mal entretenues, voilà tout ce qui me reste de mon passage à la gare de Rome Termini, mais quelle importance ?
RépondreSupprimerLe E pericoloso sporgesi joue du reste un rôle dans le roman de Butor ! Quant à la gare elle-même, je ne puis rien en dire : la seule fois où je suis t'été à Rome (1985), c'était en voiture…
SupprimerVous connaissez cette histoire de la famille qui avait un petit cochon domestique? Il s'appelait Gersi. Mais il a grandi et c'est devenu de plus en plus difficile de le garder dans l'appartement. Un jour, excédé, le père décide de l'emmener au jardin zoologique.
SupprimerMoralité : Et père, y colle au zoo ce porc Gersi.
Fable Express dans Pilote, il doit y avoir à peu près 40 ans…
Supprimer(Ce qui est amusant c'est que, pour une raison qui m'échappe totalement, j'ai repensé à cette blague idiote il y a une semaine ou deux.)
Eh oui... Petite recherche sur le net. Le père de cette blague inoubliable semble être le grand Marcel Gotlib. Et le porc s'appelle en fait Jerzy.
SupprimerÉvidemment que c'est Gotlib, tiens ! Mais je me demande si le dessin n'était pas de Mandryka…
SupprimerC'était dans une rubrique à brac, on rigolait bien pour pas cher...
SupprimerDifficile de savoir ce que je désire vraiment, lorsque je vais rejoindre ma très jeune maîtresse de 30 ans, S., cette admirable jeune femme, de 30 ans plus jeune que moi. Les itinéraires sentimentaux sont parfois redoutables et beaux.
RépondreSupprimerMichel Butor serait-il le Boulez de la littérature ?
RépondreSupprimerOn ramasse les copies dans deux heures !
Ps : Vous pouvez allier Balzac et Butor en consultant les remarquables essais du dernier sur le premier (c'est somme toute assez logique) réunis en trois (et ben oui trois) volumes sous le titre Improvisations sur Balzac.
Je vais allier de ce pas !
SupprimerCe serait pas un roman de gare ?
RépondreSupprimerButor après Sarraute... et s'il tombe dans Robbe-Grillet, on va avoir du mal à le ravoir.
RépondreSupprimerEh bien, justement, je songe sérieusement à lire La Jalousie, figurez-vous ! En revanche, je résiste encore vaillamment à Duras…
SupprimerOh! Lisez le marin de Gibraltar (hilarant) et les petits chevaux de Tarquinia ! Cela n'arrête pas de picoler, en plus... (whisky pour l'un, Campari pour l'autre)...
RépondreSupprimerLa modification de Michel Butor 7 euro 41
RépondreSupprimerLes armes secrètes de Julio Cortazar 7 euro 13
Improvisation sur Balzac de Michel Butor T1 22 euro 18, T2 17 euro 62, T3 17 euro 62
La jalousie d'Alain Robbe-Grillet 7 euro 41
Le marin de Gibraltar de Marguerite Duras 7 euro 69
Les petits chevaux de Tarquinia de Marguerite Duras 5 euro 65
Ce qui fait un total de 88 euro 53 s'il vous plaît