Le roman d'Alain Monnier (éditions Climats) est sous-titré Les Fargier (1895 - 2060). S'agit-il de science-fiction pour autant ? Hélas, non. Je dis “hélas” pour nous, les encore vivants. Survivance
raconte l'histoire de quatre générations, de quatre hommes dont chacun
est le fils aîné du précédent. Tous portent le même étrange prénom :
Ordivicien. Et chacun représente, résume l'un des âges de l'Humanité.
Ordivicien 1er s'est autoproclamé roi d'Auricanie, une petite île située au large du Chili. Il vit dans une sorte d'éternité pré-historique, entouré de sa cour (des Français tous plus ou moins en rupture de ban à qui il a su persuader de tenter l'aventure avec lui), et des “sauvages” avec lesquels ces expatriés édéniques vivent en bonne harmonie. Rien n'est tout à fait réel en ce royaume, hormis le meurtre fratricide qui a présidé à sa fondation : girardien de stricte observance, Ordivicien 1er tient à la fois de Caïn et de Romulus. Le roman commence lorsque ce roi irréel décide qu'il est temps de quitter l'imaginaire pour entrer dans l'Histoire : nous sommes alors en 1915 et Ordivicien 1er, d'un même élan, déclare la guerre à la Prusse et envoie une armée d'une vingtaine d'hommes combattre en Europe. Chute adamique.
Ses descendants, Ordivicien II, son fils, et Ordivicien III, son petit-fils, vont payer lourdement cette sortie du paradis. Le premier en pataugeant dans les bourbiers de l'Histoire : préfet de Vichy, il aide également la Résistance, avant d'y entrer lui-même, puis de voir sa statue déboulonnée par les chercheuses de poux idéologiques. Quant à son fils, descendu encore d'un cran pour devenir un des rois de l'économie capitaliste, il lui revient de préparer la sortie hors Histoire de l'humanité, notamment en finançant les recherches scientifiques débouchant sur l'immortalité, c'est-à-dire un cauchemar étale. Dernier de la lignée, Ordivicien IV ne vit plus, comme de plus en plus d'humains, que par écran interposé, les yeux agrippés à son compteur de visites, pardon : à son nombre de connectés. Toute vie est devenue virtuelle, ou semble l'être. Le passé est aboli, l'avenir tout autant, la violence véritable également.
Les quatre récits se déroulent simultanément, en courts chapitres, les uns et les autres se répondant sans cesse et s'interpénétrant. Chacun est écrit dans un genre propre : les “faicts et dicts” d'Ordivicien 1er sont racontés par le chroniqueur officiel de son royaume, sorte de Froissart extatique ; son fils est connu par la biographie qu'a édité son frère après sa mort ainsi que par deux ou trois articles de presse ; le troisième Fargier du nom rédige une sorte de testament spirituel. Le dernier de la lignée est le seul à avoir droit à un récit en style direct ; mais c'est aussi le seul qui ne vit rien de réel…
Survivance est bien le roman d'une double désappropriation : celle de l'Histoire et celle de la mort. Lesquelles sont sacrifiées au profit de la recherche toujours plus impérieuse d'un bonheur total, global, sans plus d'avenir que de mémoire. C'est pourquoi, à son propos, il est déjà trop tard, il me semble, pour parler de “science-fiction”.
Ordivicien 1er s'est autoproclamé roi d'Auricanie, une petite île située au large du Chili. Il vit dans une sorte d'éternité pré-historique, entouré de sa cour (des Français tous plus ou moins en rupture de ban à qui il a su persuader de tenter l'aventure avec lui), et des “sauvages” avec lesquels ces expatriés édéniques vivent en bonne harmonie. Rien n'est tout à fait réel en ce royaume, hormis le meurtre fratricide qui a présidé à sa fondation : girardien de stricte observance, Ordivicien 1er tient à la fois de Caïn et de Romulus. Le roman commence lorsque ce roi irréel décide qu'il est temps de quitter l'imaginaire pour entrer dans l'Histoire : nous sommes alors en 1915 et Ordivicien 1er, d'un même élan, déclare la guerre à la Prusse et envoie une armée d'une vingtaine d'hommes combattre en Europe. Chute adamique.
Ses descendants, Ordivicien II, son fils, et Ordivicien III, son petit-fils, vont payer lourdement cette sortie du paradis. Le premier en pataugeant dans les bourbiers de l'Histoire : préfet de Vichy, il aide également la Résistance, avant d'y entrer lui-même, puis de voir sa statue déboulonnée par les chercheuses de poux idéologiques. Quant à son fils, descendu encore d'un cran pour devenir un des rois de l'économie capitaliste, il lui revient de préparer la sortie hors Histoire de l'humanité, notamment en finançant les recherches scientifiques débouchant sur l'immortalité, c'est-à-dire un cauchemar étale. Dernier de la lignée, Ordivicien IV ne vit plus, comme de plus en plus d'humains, que par écran interposé, les yeux agrippés à son compteur de visites, pardon : à son nombre de connectés. Toute vie est devenue virtuelle, ou semble l'être. Le passé est aboli, l'avenir tout autant, la violence véritable également.
Les quatre récits se déroulent simultanément, en courts chapitres, les uns et les autres se répondant sans cesse et s'interpénétrant. Chacun est écrit dans un genre propre : les “faicts et dicts” d'Ordivicien 1er sont racontés par le chroniqueur officiel de son royaume, sorte de Froissart extatique ; son fils est connu par la biographie qu'a édité son frère après sa mort ainsi que par deux ou trois articles de presse ; le troisième Fargier du nom rédige une sorte de testament spirituel. Le dernier de la lignée est le seul à avoir droit à un récit en style direct ; mais c'est aussi le seul qui ne vit rien de réel…
Survivance est bien le roman d'une double désappropriation : celle de l'Histoire et celle de la mort. Lesquelles sont sacrifiées au profit de la recherche toujours plus impérieuse d'un bonheur total, global, sans plus d'avenir que de mémoire. C'est pourquoi, à son propos, il est déjà trop tard, il me semble, pour parler de “science-fiction”.
S'il m'est permis une remarque de correcteur de l'aube: le " qu'à m'en prendre qu'à moi " de l'entrée du 15/11 me semble étrange... A moins qu'il ne soit volontaire, auquel cas je n'ai rien à dire !
RépondreSupprimerPour le reste, grand plaisir pris à vous lire, aze youjouhaule !
En effet c'est nul ! Et quand je pense que je procède à trois relectures avant de publier, c'est vraiment à désespérer…
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