J'ai déjà dit mon incrédulité, face à ces flots d'émotion obligatoire qui, de nos jours, se déversent au moindre prétexte, notamment dès qu'il s'agit de faits divers à caractère létal. Tel prétend avoir pleuré toute la journée sur le sort d'un enfant noyé, tel autre n'avoir pas fermer l'œil durant trois nuits parce qu'on venait d'assassiner trois caricaturistes ; tous affirment, main sur le cœur, que jamais ils n'oublieront le nom ni le visage de ce manifestant malencontreusement tué dans une escarmouche idéologique ou de cette petite fille violée puis étranglée par un “déséquilibré”. Ma réaction, face à ces outrances oscillant entre le pathétique et le ridicule, était elle-même hésitante : tantôt j'inclinais à croire à la sincérité de ces excès lacrymaux, tantôt il me semblait que ces poses de Matres dolorosae relevaient d'une simple hypocrisie, d'une sorte de désir m'as-tu-vu-quand-j'ai-bon-cœur. Or il pourrait y avoir une troisième explication à ces déluges ; elle est exposée par André Gide, en un texte publié par la NRF dans son numéro du 1er juillet 1929, dont voici l'extrait qui m'a intéressé sous ce rapport :
« Je crois […] que les sentiments authentiques sont extrêmement rares et que l'immense majorité des êtres humains se contentent de sentiments de convention, qu'ils s'imaginent réellement éprouver, mais qu'ils adoptent sans songer un instant à mettre en doute leur authenticité. L'on croit éprouver de l'amour, du désir, du dégoût, de la jalousie, et l'on vit à l'instar d'un modèle courant de l'humanité qui nous est proposé depuis notre enfance. Sensations et pensées forment des petits paquets d'associations plus ou moins arbitraires auxquelles les noms que nous leur donnons finissent par prêter une apparence de réalité. L'admirable maxime de La Rochefoucauld : « Combien d'hommes n'auraient jamais aimé s'ils n'avaient entendu parler de l'amour » (je ne sais si je cite exactement), est applicable à beaucoup d'autres sentiments ; à tous peut-être. Il faut un esprit extraordinairement averti pour s'en apercevoir. Et ce serait une profonde erreur de croire que les êtres les moins cultivés sont les spontanés, les plus sincères. Le plus souvent, ce sont, au contraire, les moins capables de critique, les plus à la merci de l'instar, les mieux disposés, par faiblesse ou paresse, à adopter des sentiments de convention et à les exprimer par des phrases toutes faites, qui leur épargnent la peine d'en chercher d'autres plus précises, phrases dans lesquelles leurs sentiments se glissent, prenant tant bien que mal la forme de cette coquille d'emprunt. »
Le comble de ce “bernard-l'ermitage” semble avoir été atteint de nos jours (mais c'est peut-être un comble provisoire…), où les plus infectés par ce virus (voir celui-ci, mais il n'est qu'un exemple parmi cent mille autres) ne peuvent plus guère passer de semaine sans brandir la nouvelle identité dont ils viennent de s'affubler ; si bien qu'à force, leur être se dissout et disparaît dans une longue chaîne de #jesuis.
Votre billet et très bon et le texte de Gide est remarquable. Cependant je crois pouvoir faire une remarque : je suis moins sûr que lui que les personnes les moins cultivées, disons les gens du "petit peuple", soient moins aptes à éprouver de véritables sentiments. Il me semble au contraire que les plus cultivés se leurrent plus facilement et se paient de mots quant à ce qu'ils éprouvent vraiment.
RépondreSupprimerGide affirme ici que la capacité à formuler ses sentiments en phrases complexes permet d'éprouver des sentiments eux-mêmes plus complexes. Je crois le contraire, ou plus exactement que la richesse de la culture impose un plus grand effort pour retrouver un peu de la simplicité qui est nécessaire à certains sentiments, comme celui de l'empathie à l'égard de qui souffre. Orwell avait remarqué, je crois à juste titre, que les petites gens savaient se montrer plus solidaires, plus spontanément "morales" que les autres, aptitude qu'il a nommée la "common decency". Il ajoutait que plus on monte dans l'échelle sociale, plus cette "décence ordinaire" disparaît, parce que les gens les plus riches et les plus cultivés (même si les deux ne sont pas toujours corrélées, certes) sont amenés à vivre de façon moins solidaire, à tenir moins compte d'autrui, voire à se méfier des autres et à lutter contre eux pour maintenir leur place.
D'autre part, Gide semble croire que la richesse du vocabulaire se traduit automatiquement par une richesse de sentiment. C'est une idée un peu courte, bien qu'assez souvent partagée. L'aptitude à faire de grandes phrases peut tout aussi bien servir à se payer de mots, comme je l'ai suggéré. Certains sentiments forts et vrais exigeraient plutôt une certaine brutalité d'esprit pour être vraiment éprouvés, ce que je vais illustrer par l'attitude des gens face à la peine de mort (et à la répression des délinquants d'une manière générale) qui n'est pas la même dans les diverses catégories sociales. Mon expérience (et des enquêtes sociologiques sérieuses) montrent que ce sont les moins cultivés, les plus "beaufs", si l'on reprend ce vocabulaire condescendant des classes dominantes, qui se révèlent les plus farouchement hostiles au laxisme, les plus partisans de la peine de mort, spécialement à l'égard des assassins d'enfants par exemple. C'est qu'ils en ressentent le scandale plus que d'autres, parce qu'ils sont plus que d'autres capables de se mettre à la place des victimes, davantage en tout cas que ces "bourgeois" bien cultivés, bien policés, bien susceptibles surtout d'étouffer en eux la faculté de s'indigner (le mot est galvaudé, je sais).
Je dirais donc que ce sont les esprits les plus brutaux qui sont les plus capables de certains sentiments vrais et forts, là où les cultivés et les fins ne ressentent rien et surtout ne veulent plus rien ressentir.
Cela explique que vous soyez incapable de vous apitoyer sur le sort d'une "petite fille violée puis étranglée par un “déséquilibré”." Vous êtes trop cultivé, trop "travaillé" par votre culture, trop "produit" par elle pour ressentir ce qui est pourtant l'évidence chez les petites gens. Celles-là ne feignent rien, elles en sont bien incapables.
Alors oui, assurément, les sentiments sont bien souvent factices, mais spécialement chez ceux qui sont le plus aptes à se contrefaire : les savants. Il faut un effort particulier à ceux-ci pour retrouver la simplicité qui, seule, ouvre les portes de la compassion sans fard, sans mots, sans chiqué.
Je crois que vous êtes totalement dans l'erreur (à moins que ne le fassiez exprès, selon votre pente qui vous pousse facilement à la provocation gamine), mais, pour tenter de vous répondre point par point, il me faudrait écrire un commentaire long comme deux fois le vôtre, et franchement je n'en ai pas le courage ce soir.
SupprimerSinon, dans le paragraphe qui suit celui que j'ai donné ici, Gide raconte que, en 1914, dans l'espèce d'hôpital de fortune où ils se trouvaient, Schlumberger et lui ont vu arriver du front les premier soldats blessés. Ils se sont précipités vers eux pour les faire parler, recueillir, croyaient-ils, leurs premiers témoignages vécus, des sentiments et des peurs, etc., éprouvés par ces simples soldats. Ils ont été stupéfaits de constater que presque tous ne faisaient que leur répéter, en les présentant comme réellement vécus, les clichés et les images toutes faites qu'ils avaient pu lire dans les journaux de l'arrière.
Hé, ça vaut pas, le coup du "ce serait trop long" !
SupprimerCela dit, je ne provoque absolument pas, ici. J'assume ma position, qui me paraît jusqu'à preuve du contraire correctement argumentée.
Vous dites par exemple : « la richesse du vocabulaire se traduit automatiquement par une richesse de sentiment. » Il me semble que vous inversez la question. Je crois, moi, que c'est la richesse des sentiments, leurs complexité, qui entraîne la richesse du vocabulaire (éventuellement) capable de l'exprimer. Ou, plus sûrement encore, les deux évoluent ensemble, de manière inséparable.
SupprimerVoilà, il faudrait que je prenne chaque morceau de vos phrase pour essayer de dire pourquoi il me semble que vous vous trompez. Ce serait très long et j'en ai d'autant moins envie que je sais très bien que, à l'instar d'un Marchenoir, vous ne lâcherez jamais le morceau et qu'on sera encore là à discutailler dans trois ou quatre jours. Je préfère vous laisser maître du terrain tout de suite…
Vous vous trompez sur ma capacité à reconnaître la vérité (enfin, je crois). Cela dit, votre objection n'est pas correcte : c'est évidemment la qualité du langage qui entraîne la qualité du sentiment, pour Gide, car sinon il faudrait admettre que les hommes naissent avec des capacités différentes à ressentir. Je me place, quant à moi, exactement dans sa perspective : nous naissons à peu près égaux dans nos capacités, mais la "culture" altère (selon Rousseau) ou améliore (selon Gide, et à peu près tous les "intellectuels) lesdites capacités. Les "brutes" conservent leur capacités limitées.
SupprimerJe ne suis pas d'accord avec Gide, et j'ai donné mes raisons. Mais il reste que ce n'est pas parce qu'ils sont nés meilleurs que les gens qui "parlent bien" ont le pouvoir, selon Gide, de mieux ressentir. Tout simplement parce que le langage s'acquiert. Par conséquent, si on lie le sentiment au langage (ce que fait Gide), c'est bien le sentiment qui suit, et le langage qui rend possible. C'est d'ailleurs mon opinion, sauf que je considère que le langage sophistiqué peut corrompre le sentiment au lieu de l'affiner. Les "brutes" parlent aussi, mais leur langage suit de plus près leur sentiment, et le trahit moins. Du coup, il me semble tout à fait possible que vous n'ayez pas vraiment compris le propos de Gide qui, en l'occurrence, se montre un défenseur un brin sectaire de l'intellectualisme.
il traduit cultivé par averti, rigoureux, ayant un esprit critique. Est-ce qu'il ne fait pas en sorte de ne pas réduire la culture à la classe dominante en la définissant ici selon des critères qui n'en dépendent pas parce qu'il sait trop bien la manière dont la culture est la plupart du temps une manière d'asservir? Il parle de quelque chose d'exceptionnel et rare, non?
SupprimerPour ma part, j'ai toujours été surpris que des assassins s'élèvent en père la morale quand un crime est plus odieux que celui qu'ils ont commis. Ça montrerait un dérèglement de leur être et un défaut de savoir vivre à défaut de savoir mourir (puisque l'on nous a privé de la peine de mort).
SupprimerJe pense comme Didier Goux que vous êtes totalement dans l'erreur Marco Polo. Ce qu vous dites sur l'authenticité des sentiments du petit peuple, qui seraient plus forts, plus vrais, ça sent la littérature. Cette vision vous vient de livres que vous avez lu, Michéa notamment. La réalité est bien différente, que celle de ce petit peuple, authentique et sincère, que certains ont fantasmé.
SupprimerDe par ma profession je suis amené à cotoyer des gens de catégories sociales très basses, qui souvent ont commis des délits, parfois des crimes. De cette petite expérience personnelle, j'en retire que souvent ils ressentent moins, que beaucoup de sentiments que l'on considère comme "humains" leur sont étrangers. En revanche ils sont très bons pour singer les sentiments, la sincérité, on s'y laisserait presque prendre si on ne faisait attention aux incohérences et contradictions. L'exemple de Didier Goux sur les soldats revenant du front est excellent, le petit peuple est très conformiste en matière de sentiments, il ressent comme on lui a expliqué qu'il fallait ressentir.
Il est farouchement pour la peine de mort, parce qu'étant conformiste il ne supporte pas l'entrave à la morale commune, le criminel doit être effacé, pour que lui retrouve la paix. Ce n'est pas un signe de richesse morale, c'est un signe de médiocrité morale.
Le fondement de votre erreur, c'est votre rousseauisme, vous semblez trouver scandaleux qu'il puisse y avoir des inégalités à ressentir à l'état de nature. Or ça saute aux yeux ! Je me demande comment certains peuvent ne pas s'en rendre compte, à moins d'être eux-même un peu amputé de leur propre sensibilité. Evidemment qu'il y a des inégalités à ressentir, comme il y a des inégalités d'intelligence. L'individu sensible et intelligent aura plus de chances de développer un vocabulaire riche pour exprimer la diversité de sentiments qui le traversent.
Ce que Gide explique ici est encore plus profond, il explique que les sentiments ne sont pas quelque chose de totalement naturel. Ils sont aussi le fruit d'une construction culturelle et historique. Le petit peuple prendra l'existence de ces sentiments comme un état de fait, il les ressentira (amour, haine, vengeance) sans prendre la peine de les questionner. L'individu cultivé et sensible aura plus de chances de s'interroger sur la nature de ce qu'il ressent. Qu'est-ce qu'aimer ? Quelle valeur puis-je accorder à ce sentiment ? Ce n'est pas qu'il cherche par son intellectualisme à ne plus rien ressentir, c'est simplement qu'il cherche à comprendre ce qu'il ressent réellement. Les catégories sentimentales qu'on lui a présenté il ne les prend pas pour des vérités absolues, il les remet en question, pour, éventuellement, mieux se les approprier par la suite.
Chez le rustre rien de tout cela, il dira qu'il aime, parce qu'il faut bien aimer, ou il se vengera car il faut bien se venger, jamais il ne questionnera toutes ces catégories. Souvent même il ne ressentira en réalité pas grand chose, mais il fera comme si.
J'entends vos arguments, mais ils me semblent un peu biaisés par l'exemple de départ, sur lequel tout le reste s'appuie. Si, en effet, vous vous basez sur ce qu'éprouvent les délinquants, les criminels (en les considérant par principe comme représentatifs des classes populaires), vous ajoutez la pétition de principe au hors sujet. D'abord, les criminels ne viennent pas spécialement des classes populaires, ensuite et surtout, les criminels deviennent précisément des criminels à cause de leur faible capacité d'empathie, ce qui peut très bien se produire dans les hautes sphères de la société. Voyez Merkel, par exemple, et tous nos gouvernants, qui se moquent pas mal du mal qu'ils font aux gens tant que leur petit pouvoir et leurs avantages se maintiennent.
SupprimerIl se trouve que je parlais d'expérience, moi aussi, mais pas auprès des délinquants. Les petites gens que je fréquente à haute dose, dans mon métier, viennent essentiellement de la ruralité paysanne pauvre. Figurez-vous que j'enseigne dans l'un des départements reconnus comme les plus pauvres de France (plus exactement dans l'un des départements où il y a le plus de pauvres), et, au sein de ce département, dans l'arrondissement le plus "défavorisé" (comme on dit maintenant). C'est aussi l'un des lieux les plus sûrs de France. Mes élèves sont polis et sympathiques. Il n'entre rien de malsain dans leur défense acharnée de la peine de mort ou leur détestation viscérale de la pédophilie. Je ne voudrais pas trop en faire, et donner l'impression de peindre ma campagne en rose, mais je suis sûr de ne vouloir échanger ma place contre aucune autre auprès "d'intellectuels" citadins.
Je constate que le "petit peuple" a encore besoin d'être "défendu", même après "la vie d'un simple" d'Emile Guillaumin, même après tous ces livres d'anciens enfants du peuple qui ont chanté la gloire et les vertus des bouseux et des ouvriers, même après Pierre-Jakez Helias qui, devenu brillant intellectuel, écrivit un jour qu'il n'avait jamais rencontré homme plus intelligent, plus sage et plus savant que son grand-père à peu près illettré. Vous ne connaissez sans doute pas la beauté des œuvres d'art populaire qui parsèment nos campagnes, par exemple dans le décor vernaculaire de l'habitat, ni l'intelligence avec laquelle un maçon analphabète du XVIIIe siècle montait des murs qui en remontrent à n'importe quel bétonneur d'aujourd'hui ayant usé ses culottes à l'école. Vous devriez lire les pages que Michel Onfray consacre à son père ouvrier agricole, pour voir si la qualité des sentiments ne vient qu'aux lettrés. Je pourrais multiplier les exemples.
(...)
(...)
SupprimerIl y a un préjugé littéraire en faveur de la littérature, ce qui est assez naturel. Mais les mots ont-ils tant de valeur ? Sont-ils le meilleur moyen d'exprimer les émotions ? Ont-ils le pouvoir d'enrichir nos capacités sentimentales ? C'est discutable. Bergson explique que le langage demeure incommensurable avec la pensée, que les mots ne sont pas faits pour exprimer des pensées, et l'exemple qu'il prend est précisément celui des sentiments, de l'amour, de la haine, etc. Vous ne pourrez jamais exprimer votre amour avec des "Je t'aime" ni aucun autre mot. Le langage est d'abord un outil pratique qui a permis à l'homme d'échanger des techniques et de vendre des produits sur le marché. Mais les émotions, c'est autre chose. D'ailleurs les différents arts trouvent sans doute leur origine dans cette faiblesse du langage à l'égard du sentiment. Or, les artistes ne sont pas toujours, loin s'en faut, des intellectuels. Et l'art, jusqu'à il y a peu, naissait dans toutes les catégories sociales (c'est encore vrai pour la musique, mais je ne parle pas alors de la musique savante à la Boulez, bien entendu).
Enfin, tout cela pour dire que votre vision des pauvres et des petits me paraît quand même très condescendante, et surtout très fausse.
Un dernier point. Il faut du talent pour singer des sentiments, pour feindre des émotions. Il est tout de même très paradoxal d'affecter de croire que le petit peuple aurait davantage ce talent que ceux qui lisent des livres et fréquentent les salons où, depuis toujours, l'artifice règne en maître. Vous citiez Rousseau, qui en effet me semble ici pertinent, mais je pourrais ajouter Chamfort. Ou encore La Bruyère, qui a bien vu l'artifice chez les "Grands", mais ne s'est jamais donné la peine de jeter un œil sur les petits. Du moins celui-ci ne se trompait qu'à moitié, alors que votre défense des lettrés, qui seuls seraient à même de construire de véritables sentiments, passe complètement à côté des faits tels qu'ils ont été décrits par de nombreux auteurs "populistes", et tels que je les vis quotidiennement.
j'ajoute, pour faire bonne mesure, qu'il y a une sérieuse contradiction dans votre argumentation : d'un côté vous prétendez qu'il y a des inégalités de nature, de naissance, dans la capacité à ressentir, de l'autre vous insistez sur le caractère construit et historique des sentiments. Ce n'est pas très cohérent.
Mon argumentation comportait quelques maladresses il est vrai. Je n'aurais pas du prendre en exemple des délinquants, ce n'est pas le sujet.
SupprimerCe que je pense c'est qu'il y a bien des inégalités à ressentir. Que par suite, une personne particulièrement sensible, qui ressent les choses fortement, aura plus souvent tendance à s'interroger sur cela, et à chercher les moyens d'exprimer ce qu'il ressent. Sa curiosité naturelle va le pousser à tenter d'enrichir son vocabulaire, sa culture, bref la qualité de son expression.
C'est en cela je crois, que l'on peut dire que les être les plus sensibles, aux sentiment les plus vrais et les plus sains se retrouveront davantage parmi des gens cultivés que parmi des "rustres".
Mais attention, cela ne signifie pas qu'un bourgeois cultivé est forcément plus sensible ou a des sentiments plus sincères qu'un prolo. Comme vous le dites justement, un bourgeois insensible n'aura aucun mal à mimer la finesse d'esprit et de sentiment. Ce que je dis c'est qu'un individu sensible à la base, cherchera forcément à s'élever culturellement et intellectuellement, et ce qu'il soit prolo ou bourgeois. C'est pour cela que j'ai du mal avec l'idée qu'un individu inculte, au vocabulaire limité soit plus sensible qu'un individu plus cultivé. La sensibilité pousse vers la complexité non vers la simplicité.
Sinon pour ce que vous dites de la vie à la campagne parmi les gens simples, je vous rejoint parfaitement, leur compagnie est souvent bien plus agréable que celle des bourgeois charlie. Je vis moi même à la campagne après avoir passé du temps dans une grande ville, donc je comprends très bien ce que vous dites. Pour autant je maintiens que vous vous trompez si vous voyez dans cette bonhomie du peuple, une plus grande moralité.
Je vous accorde volontiers le premier point (les hommes les plus sensibles vont développer leurs facultés d'expression) et je comprends votre réticence à appeler "morale" la bonhomie paysanne. C'est un peu une question de vocabulaire, en effet. Si la morale est autre chose que la "décence ordinaire", d'accord. Il y a bien quelque chose d'automatique dans la bonté du simple, mais, en ce qui me concerne, je vois dans cet automatisme quelque chose de sain et de bon.
SupprimerC'est un texte superbe, qui me donne envie de lire Gide avec lequel je suis, je le sais, injuste depuis des années (mais il ne m'en veut pas). J'ai pris "Nathanaël, jette ce livre !" au premier degré presque tout de suite et, depuis, je suis resté sur cette mauvaise impression, ces mauvaises manières.
RépondreSupprimerMais c'est le genre de fulgurances psychologiques que je recherche un peu partout, sans les trouver assez malheureusement, si bien que je suis devenu à peu près incapable de finir un livre ces derniers temps. (C'est bien sûr que je les choisis mal.)
Que Gide puisse avoir observé une telle chose en 1929 me fait dire, à rebours de vous, qu'il doit s'agir d'un invariant de la condition humaine plutôt que d'un effet des divers battages médiatiques des temps récents, comme j'aurais pourtant moi-même tendance à le penser.
Nous réagirions en somme de la même façon à l'annonce de la mort du fils de notre concierge qu'à celle d'un otage au Liban (mettons), et même qu'à celle d'un proche : par des sentiments sincères mais simulés, des imitations de sentiments.
Mais pourquoi donc "à rebours de moi" ?
SupprimerÀ cause du "comble du bernard-l'ermitage" qui vous semble avoir été atteint de nos jours, il m'avait semblé que vous constatiez une progression (que je crois constater aussi). Or, si les mots de Gide s'appliquent si bien à nos cas actuels, ceux-ci ne peuvent pas être bien différents des siens (d'où mon "invariant" du message précédent). Mais je me trompe peut-être !
SupprimerLe mal peut-être le même qu'à son époque, mais entré dans sa phase aiguë.
SupprimerQuand j'étions jeune, en seconde, je crois, notre prof de français, machiavélique, nous avait donné la rédaction suivante "Dans l'œuvre de Gide que vous avez lue (donc il fallait en lire une!) quel personnage vous a semblé le plus fervent" (donc il fallait se taper "les nourritures terrestres" avant..."Nathanaël, je t'enseignerai la ferveur"...) Je m'en souviens parce que j'avais eu 18/20. Même qu'il m'avait dit "vous ne l'avez pas écrite tout seul?"... Je crois d'ailleurs que j'ai dû garder la copie quelque part, tellement c'était rare que j'ai une bonne note en français...
SupprimerVous pouvez bien le dire, maintenant : qui vous avait aidé ?
Supprimermais non, personne! mais c'était (le prof ne le savait peut être pas) une épreuve scientifique...
Supprimer1) lire les "nourritures terrestres"
2) en déduire ce qu'est la "ferveur"
3) lire un autre opus de Gide
4) trouver celui qui...
C'est parce que c'était "scientifique" que j'ai eu une bonne note
Et je m'en souviens parce que c'était rare...
Bien joué, Monsieur Goux : le hashtag remplaçant désormais la pensée !
RépondreSupprimerLe signe indiquant de possibles métadonnées et ouvrant sur d'éventuelles profondeurs devenant ainsi le pendant du "je suis". Et c'est peut-être ainsi qu'on glisse sur le net, sans but ni butin...
Le pis est que je ne sais même pas ce qu'est un hashtag ; en tout cas à quoi ça sert.
SupprimerC'est le signe cabalistique qui figure devant "je suis" :
Supprimer"si bien qu'à force, leur être se dissout et disparaît dans une longue chaîne de #jesuis."
Je sais bien ! Ce que j'ignore, c'est son utilité (s'il en a une).
SupprimerOui.
RépondreSupprimerComme dirait Gide, j'ai peu de "sentiments authentiques". Cela étant, il y a des exceptions. Par exemple, le 11 janvier 2015, je suis allé manifesté à République, tout seul, sans chercher de potes, alors que cela ne me ressemble pas du tout (surtout un dimanche après-midi !).
Et les réseaux sociaux rendent con. D'ailleurs ça fait longtemps que je suis dans Twitter. Au début, on s'en servait presque que pour rigoler. Par exemple, la semaine dernière, "j'aurais fait" : "Delpech pourrit". Mais on ne peut plus. Les utilisateurs sont devenus tarés et s'imaginent qu'il FAUT dire qu'on est ému par la mort de Bowie.
Vous y êtes peut-être allé tout seul, mais en même temps que deux millions d'autres personnes et à l'appel de tout ce que la France compte de partis, de syndicats, d'associations, etc. Ça relativise l'originalité de la démarche…
SupprimerOui mais ce n'est pas ce que je veux dire : le fait d'y aller était généré par l'émotion, sentiment rare chez moi qui suis plus soupe au lait qu'emotif. Le 7 janvier les évènements se sont produits pendant ma pause déjeuner (les arabes ne respectent rien). J'étais énervé en colère et tout ça mais dès le troisième demi je m'en doutais. J'ai réagi le dimanche.
SupprimerVoilà bien le genre de pensée diablement de travers que l'époque semble réprouver, et loine -prononcer louène, féminin de loin, parité oblige, si je puis me permettre ici- de tout panurgisme !
RépondreSupprimerPas facile à prononcer, "loin" au féminin ! Il faudrait mettre notre passionariette Élodie sur le coup.
SupprimerLoin est un adverbe, mais je dis ça comme ça...
SupprimerRefuser de mettre les adverbes au féminin dénote chez vous un esprit profondément discriminatoire, dont je vous encourage vivement à vous débarrasser au plus vite !
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerêtre d'accord avec le dernier ou la dernière qui a parlé?
RépondreSupprimerAutant que je m'en souvienne, le premier "Je suis" a été le "Nous sommes tous des juifs allemands" de mai 68, slogan d'une manif qui répliquait aux termes que Georges Marchais avait utilisés pour qualifier Daniel Cohn-Bendit; le second, le titre du Monde dans l'éditorial de Colombani, au lendemain des attentats des Twin Towers, "Nous sommes tous Américains"; depuis, ce tic de langage semble s'être généralisé.
RépondreSupprimerJ'aurais dit que c'était "Ich bin ein Berliner" s'il faut vraiment établir une chronologie
SupprimerExact,; je l'avais oublié, celui-là (1963).
SupprimerBeaucoup ici préfèrent la foule à leurs pieds, plutôt que de s'y mélanger...
RépondreSupprimerMéprisants et hautains....
Encore heureux qu'il leur reste la sécu pour profiter un peu de l'effet de masse.
Même en faisant la part de la provocation, je ne comprends pas ce billet, venant de vous.
RépondreSupprimerPourquoi minimiser les faits ? Non, il ne s'agissait pas du meurtre de "trois caricaturistes", mais de tous les gens qui se trouvaient ce jour-là à la réunion de la rédaction, y inclus des simples employés, un économiste ( Bernard Maris), etc., comme pourrait l'être demain celui de la rédaction d'un journal où vous écrivez et dont un article n'aurait pas eu l'heur de plaire à certains; suivi du meurtre d'une jeune martiniquaise uniquement parce qu'elle était en uniforme de flic; puis de quelques juifs uniquement parce qu'ils étaient juifs.
Je ne crois guère, depuis longtemps, à l'utilité des manifs...mais, dans ce cas-là, il y en avait bien une : montrer à ceux qui avaient organisé ces meurtres qu'il y avait beaucoup de gens attachés aux valeurs qu'ils prétendent abattre, et que ces meurtres n'avaient fait qu'accroître cet attachement.
Que certains manifestent leur émotion de façon puérile me semble banal, mais ne change rien à l'émotion que vous avez dû ressentir vous aussi.
Et voilà que ça repart comme en 14 !
RépondreSupprimerGaffe aux shrapnels !
SupprimerPeut-être un lien avec la conception "mimétique" du désir chez Girard ? Les émotions comme partie du désir ou encore elles-mêmes comme désir ?
RépondreSupprimerGirard fait remarquer quelque part que pour vouloir se fondre dans l'autre il faut ressentir pour soi une profonde répugnance, il y voit je crois l'effet d'une promesse trompeuse : l'autonomie métaphysique et le fait que nous ne pouvons y croire pour nous même ; l'Autre est celui pour qui cette promesse est réalisée... le #jesuisisme est un "bovarisme".
(merci de m'avoir remis à Girard).
J'ai tout de suite pensé à Girard, en lisant le texte de Gide, effectivement.
SupprimerCe matin, chantons tous : "Je suis Ouagadougou - ou - ou - ou !"
RépondreSupprimerEvidemment, des morts dans une ville qui porte un nom africain - donc, forcément ridicule- ne peuvent être pris au sérieux.
SupprimerL'idée de prendre les morts au sérieux est déjà en soi assez bouffonne, non ? Pourquoi pas les vivants, pendant que vous y êtes ?
SupprimerPendant qu'il est vivant ?
SupprimerPar morts, j'entends "assassinats" : il n'y a pas beaucoup de vivants qui aient été assassinés.
SupprimerElle est amusante, votre phrase ! Moi, il m'avait toujours paru qu'il n'y a justement que les vivants, qui se font assassiner.
Supprimer" La mort en définitive, n’est que le résultat d’un défaut d’éducation puisqu’elle est la conséquence d’un manque de savoir-vivre."
RépondreSupprimerPierre DAC
Profondément désolé
Duga
En lisant l'ensemble, du billet à la fin, on a l'impression que les vrais sentiments sont toujours tristes ou au moins sérieux.
RépondreSupprimerJe vais donc être un peu hors-sujet en invoquant les sentiments gais.
Tous les enfants gambadent pour exprimer qu'ils sont joyeux, et cela consiste à doubler chaque pas par un petit saut. Donc un mélange exact de marche et de course, pour exprimer une émotion.
Toutes les demoiselles (enfin si ça existe encore) se cachent la bouche des deux mains lorsqu'elles sont choquées, mais pas mécontentes de l'être.
Vous n'avez jamais songé que, peut-être, vos enfants et vos jeunes filles ne faisaient cela que parce qu'ils avaient vu d'autres enfants et d'autres jeunes filles (un peu plus âgés sans doute) le faire vant eux dans des circonstances semblables ?
SupprimerPour la mimique des jeunes filles, par exemple, j'aurais assez été de votre avis jusqu'au jour où je l'ai faite moi-même sans y penser dans des circonstances impliquant justement une demoiselle, mais de petite vertu. C'est pour cela que je peux décrire assez précisément le sentiment qui la provoque...
SupprimerVous pourrez évidemment prétendre que c'est parce que je l'avais déjà vue, mais je réponds d'avance cause toujours...
Ah ! la Grande émotion qui rend bon, même la bête brute, grâce à la communication-amplification. Ils avaient tous furieusement envie d'être de la partie, présents à cette narcissique manifestation. Ils ont du cœur et la larme facile, et puis c'est trop injuste, ils se sentaient tellement espèce protégée avec leur bonté, leur hospitalité, leur amour de l'Autre... Un Charlie sensible s'est réveillé en eux pour immédiatement se fondre dans la masse qui crie et qui pleure, sans vraiment comprendre.
RépondreSupprimerLeur nom est Personne.
Pourquoi ne pas pleurer les futurs morts? Prenons de l'avance pour ne pas être débordés.
RépondreSupprimerPeut on considérer que les marches blanches font partie intégrantes des moments d'émotion populaire.
RépondreSupprimerLa premier fut organisée en Belgique après l'affaire Dutroux en octobre 1996, depuis elles sont devenues une forme de mode.
A propos de pleurs, lors des enterrements dans province natale, on pouvait louer les services de pleureuses, ce qui m' intriguait beaufort quand j' étais enfant.