Depuis quelques semaines, j'ai un nouveau passe-temps, rendu possible
par le fait que je continue à me lever avant cinq heures, c'est-à-dire
alors qu'il fait encore nuit. Plutôt qu'un passe-temps, d'ailleurs, je
devrais dire un relevé. Ou un compte à rebours. Enfin…
Dans la rue de l'Église, au Plessis-Hébert, les lampadaires publics ont été programmés pour
s'allumer à six heures précises ; ce qu'ils font avec une ponctualité
dont il convient de les féliciter. Il se trouve que c'est également
l'heure de l'un de mes cafés du matin, après ceux de cinq heures puis
cinq heures et demie, et avant ceux de six heures et demie puis de sept
heures. Ma ponctualité à moi tient à la cafetière électrique qui, dans
le but probable de sauver la planète, s'éteint automatiquement toutes
les demi-heures, comme j'ai déjà eu le bonheur de vous le narrer ici même : pour ne pas oublier d'aller à la cuisine la remettre
en route, j'ai pris l'habitude de me “caler” sur le carillon du salon,
lorsqu'il sonne la demie et l'heure juste. Une fois debout, j'en profite
naturellement pour me servir quelques gorgées du breuvage, allumer une
cigarette et aller consommer le tout sur la terrasse, en compagnie du
chien. Je suis donc aux premières loges pour voir les lampadaires
s'allumer, d'autant que René, le carillon, avance souvent d'une minute
ou deux.
Or, si l'éclairage publique s'allume selon
l'heure qu'il est, il échappe au temps des hommes pour ce qui est de
s'éteindre : c'est alors la luminosité naturelle de l'aurore qui prend la relève du
commandement et décide de l'extinction. Si bien que, selon le processus,
maintenant bien connu, de l'allongement des jours entre le 24 décembre et
le 21 juin, la durée d'éclairage des lampadaires héberto-plessistes
tend à subir le même sort que la peau de chagrin balzacienne. J'ai
senti que le tragique dénouement était proche il y a une douzaine de
jours, lorsque le temps des illuminations est tombé sous la demi-heure.
Ensuite, l'agonie a été rapide : les lampadaires, hier, sont restés
allumés exactement cinq minutes et demie, et ce matin cinq. Je crains
qu'avant une semaine ils ne s'enfoncent pour plusieurs mois dans un long
jour, qui est pour les lampadaires ce qu'une longue nuit est pour les
humains. J'en ressens comme une vague mélancolie, de celles qu'il est
préférable de garder pour soi si l'on ne veut pas faire figure de
demeuré.
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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.