Alternativement avec celui de Léautaud, j'occupe mes journées de solitaire en relisant mon propre journal (panachage qui semblerait traduire une pulsion masochiste difficilement niable). J'en suis à l'année 2012 et, à la date du 8 novembre, je viens de tomber sur ceci que je vous livre :
« Je crois que, pour peu qu'on ne m'oblige pas à
écouter les navrantes productions de Björk, j'aurais bien aimé être
islandais ; faire partie d'un petit peuple de trois cent mille
personnes, sur une île suffisamment septentrionale et lointaine pour
être inaccessible aux sapajous exotiques, revendicatifs, violents,
pleurnichards et inutiles ; parlant une langue délicieusement
incompréhensible à tout le reste de la terre : vraiment, j'aurais bien
aimé. Et je pense que je ne serais jamais sorti de ce petit périmètre,
s'il m'avait été par bonheur échu. Mais français je dois continuer
d'être, hélas, international et stupide. Quand va-t-on se décider à
importer des elfes plutôt que des trolls ? »
Un septennat plus tard, le fait de n'être pas islandais me semble toujours aussi regrettable. Mais il est vrai que je ne sais absolument rien de cette île, ni surtout de ses habitants : peut-être, à l'instar de ces grands crétins blonds que sont leurs cousins scandinaves, sont-ils ravagés de modernité galopante, et béats d'admiration devant le moindre peuple-du-soleil venu.
Par ailleurs, deux jours plus tard, j'écrivais ceci, qui n'a rien à voir, à propos du Cousin Pons de Balzac, que j'étais alors occupé à relire :
« Je me souviens que, la première fois,
j'avais été saisi d'une intense pitié pour le personnage principal, au
vu des mécomptes qu'il ne cessait d'encaisser jusqu'à l'ultime
conclusion. Mon sentiment est quelque peu différent cette fois-ci : Pons
est une sorte de maniaque, de possédé par une idée fixe, c'est-à-dire
de ces personnages qui, chez Balzac, ne peuvent que mal finir, même
lorsque leur passion n'est en soi pas mauvaise, et même noble :
ce n'est pas son amour des chefs-d'œuvre de l'art qui détruit Sylvain
Pons, mais le fait que cet amour l'envahisse au point de supprimer tout
le reste. En ce sens, il est une sorte de frère jumeau du père Goriot.
Chez Pons, il y a en plus cette passion assez grossière de la bonne
chère, des repas plantureux, qui le pousse à endurer sans piper mot
toutes les vilenies qu'on lui fait subir, si c'est la condition pour
continuer d'être invité à se goberger. Et, là, c'est plutôt au baron
Hulot de La Cousine Bette, qu'il ressemble. Bref, je n'ai plus si
envie que cela de le plaindre : suis-je devenu un lecteur plus lucide,
ou bien serais-je en voie d'endurcissement ? »
Il serait intéressant, sept ans après, de me livrer à une lecture supplémentaire de ce Cousin, pour voir lequel des deux sentiments à son endroit est aujourd'hui le mien… ou s'il m'en pousse un troisième, tout à fait inédit.
Finalement, ce n'est pas si ridicule que cela, de relire son propre journal. D'ailleurs, en y pensant, à quoi servirait-il de tenir un journal, si c'était pour ne jamais retourner y mettre un peu le nez ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.