Andréï Platonov, 1899 – 1951. |
À la page 146 (Robert Laffont, col. Pavillons) de Tchevengour, roman d'Andréï Platonov sur lequel je reviendrai peut-être dans les jours qui viennent – mais qu'on n'y compte pas trop tout de même –, je tombe à l'instant sur ceci, à propos d'un inspecteur des forêts que l'on vient tout juste de rencontrer ; nous sommes quelque part dans la région du Don, en pleine guerre civile :
« Son père, forestier, lui avait légué une bibliothèque de livres bon marché, œuvres des auteurs les moins lus, les plus oubliés, du plus infime rang. Il disait à son fils que les vérités qui décident de la vie vivaient d'une existence mystérieuse dans les livres dédaignés. Le père de l'inspecteur des forêts comparait les mauvais livres aux enfants à naître qui périssent dans le sein maternel faute de correspondance entre leur tendre corps et la brutalité du monde, qui pénètre jusque dans les entrailles d'une mère. »
Et si c'était vrai ? Si, réellement, les vérités qui décident de la vie vivaient d'une existence mystérieuse dans les livres dédaignés, attendant en vain qu'on les y découvrît ? C'est nous qui aurions l'air con, avec cette manie que nous avons de ne lire que des ouvrages à la parfaite réputation. Il n'est pas impossible, d'ailleurs, que les livres dédaignés se trouvent consolés de cet abandon, à nous voir errer sans repos en des lieux dûment fléchés et balisés mais que nulle vérité n'éclaire, creuser en geignant des pages glorieuses mais implacablement stériles.
In girum imus nocte et consumimur igni.
Et c'est sans doute bien fait pour nous.
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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.