Il est des poètes que personne ne lit plus, ou même dont on ignore désormais le nom. Il en est même beaucoup, engloutis à tout jamais, et qui, peut-être, pour certains, le méritaient. Mais il en est d'autres que la gloire rattrape in extremis par les cheveux, juste au moment critique où ils allaient disparaître dans le grand anonymat des siècles. Ils survivent parfois, ces miraculés, pour un unique poème. C'est le cas par exemple de Félix Arvers, encore présent aujourd'hui pour son fameux sonnet : Mon âme a son secret, ma vie a son mystère, etc.
Et puis, il y a ceux que l'on pourrait appeler les surmiraculés. Des sortes d'ombres errantes qui ne se maintiennent parmi nous que pour un seul vers ; dont, la plupart du temps, ceux qui le citent ignorent tout de son auteur. Mais enfin, c'est tout de même un semblant de survie, cela.
Par exemple, qui lit, qui connaît le poète Edmond Haraucourt (1856 – 1941) ? On le cite pourtant couramment, puisqu'il est l'auteur de ce vers : Partir, c'est mourir un peu. Un heptasyllabe qui semble bien prouver, dans son cas, que Écrire, c'est durer un peu (qui, lui, n'est pas un heptasyllabe). Mais enfin, avec ou sans ce vers passé à l'état d'adage, le nom d'Haraucourt dit encore tout de même vaguement quelque chose aux demi-lettrés dans mon genre qui se sont un peu intéressés à la littérature du XIXe siècle…
Mais qu'en est-il de Pierre-Charles Roy (1683 – 1764), qui était librettiste de son état ? Auteur d'opéras pour des musiciens tout aussi inconnus que lui-même (là encore : hormis des spécialistes du genre, probablement) et qui ne sont plus jamais montés nulle part, on lui doit tout de même un vers que chacun a en mémoire. Il est le dernier d'un quatrain que Roy avait écrit comme légende sous une gravure représentant des patineurs sur glace ; quatrain que voici :
Sur un mince cristal l'hiver conduit leurs pas,
Le précipice est sous la glace.
Telle est de vos plaisirs la légère surface.
Glissez, mortels ! n'appuyez pas.
Moi-même je n'en eus rien su si, en se promenant sur les quais de la Seine, Louis Sébastien Mercier n'avait eu l'œil attiré par cette estampe et n'en avait noté les vers, reproduits sans nom d'auteur, avant de les intégrer dans un chapitre de son admirable Tableau de Paris.
On m'objectera peut-être – je connais les mauvais esprits qui hantent parfois ces lieux… – que le fait de connaître un vers par-ci, un vers par-là, n'empêche nullement leurs malheureux auteurs de sombrer dans l'oubli, puisque personne ne parle plus jamais d'eux. Je m'inscris en faux, mes Pères ! Et j'affirme que l'on parle bel et bien encore d'eux. La preuve.
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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.