Mais voici que, soudain, au détour d'une page, je touche du doigt le gouffre qui me sépare du texte que je lis, le changement radical qui s'est produit entre son époque et la mienne. Ainsi, lorsque, parlant de l'oraison funèbre du Grand Condé, mon cardinal écrit ceci :
« C'est la première leçon d'éloquence française, par laquelle on essaie le goût et les dispositions des générations naissantes. Elle vient se graver d'elle-même dans la mémoire des jeunes gens, aussitôt que leur oreille se montre sensible à l'harmonie ; elle fait battre de jeunes cœurs étonnés d'une émotion qu'ils n'avaient point encore ressentie ; elle fait couler les premières larmes que la puissance du génie arrache à des âmes encore neuves. »
Ainsi donc, se dit le lecteur béant, il y eut réellement des temps, en France, où les lycéens prenaient leurs premières leçons d'éloquence chez Bossuet, au lieu de les recevoir de la bouillie verbale d'un François Hollande ou des postillonnages racistes d'un Lilian Thuram ? Où ils découvraient l'harmonie de leur langue dans les majestueux drapés d'une oraison funèbre et non dans les martèlements simiesques d'un rap de cité sensible ? Où l'émotion neuve qui faisait battre leurs cœurs leur était donnée par la haute figure d'un prince du sang doublé d'un capitaine illustre plutôt que par un animateur télé ricanant ou une greluche cinématographique césarisée de frais ?
Le lecteur finit par refermer le livre pour tenter de digérer sa déprimante découverte. Pour essayer, comme on dit presque, de se faire une oraison.
"l'émotion neuve qui faisait battre leurs cœurs" ... ou "leur cœur" ? Comme dirait le capitaine Haddock "dormir avec la barbe au-dessus ou en-dessous des couvertures" ? ...
RépondreSupprimerBossuet nous ayant quitté en 1704, cela fait même plus de trois siècles que cela a été écrit...
RépondreSupprimerJe parlais du livre que lui a consacré le cardinal de Bausset (son presque homonyme, donc), lequel est paru en 1814.
SupprimerDe toutes façons, je me demande si on fait encore des oraisons funèbres en France, sinon du style,un peu différent de celui de Bossuet, de certaines chansons de Brassens ("Mon vieux Léon",etc.) Tout change,mon bon Monsieur.
SupprimerOn doit certainement en faire… mais dans des églises vides, pour cause de petit Chinois : ce sont des oraisons barrières, en quelque sorte.
SupprimerDans ma paroisse rurale les prêtres sont rares, il est donc demandé à quelques personnes comme moi de préparer des fiches pour les oraisons des défunts que les prêtres ne connaissent que rarement. Aussi, je peux vous confirmer que Bossuet, Massillon, Bourdaloue, La Rue, Fléchier continuent à aider nos derniers clercs lorsque l'inspiration manque.
SupprimerParfois, comme pour vous, le temps s'arrète et, bien que nous soyons dans une église froide, ou dans la salle de prière climatisée d'un EHPAD, avec un maximum de 30 personnes (petit chinois oblige) et souvent moins (et là le petit chinois n'y est pour rien), on imagine ces orateurs en chair, couvert de dentelle, s'adressant à la cour du grand roi pour retracer la vie de Turenne, d'Henriette de France, ou du duc et de la duchesse de Bourgogne. Evidemment, lorsque le charme cesse d'opérer, le retour en l'an de grace 2020 est parfois difficile ...
Eh bien, voilà une excellente nouvelle pour conclure une année navrante !
SupprimerIl y avait fort peu de "lycéens" à l'époque.
RépondreSupprimerEt, en outre, ils étaient bien loin, ces petits imbéciles, de nos 95 % de réussite au bac !
SupprimerJe veux être optimiste pour cette nouvelle année qui vient. Je crois qu'il y a encore de bons lycéens entourés de bon professeurs qui leur font apprécier les textes de Bossuet, la physique de Newton, celle de Max Planck, les maths de Laplace ou celles de Euler, l'histoire-géo de Fernand Braudel etc ... Je le vois tous les jours en travaillant avec mes enfants qui ont été admis dans de bons lycées. Leur objectif n'est plus le bac, mais des admissions dans de bonnes prépas ou de bonnes universités en France ou à l'étranger. Les taux de réussite sont probablement les même que les taux de réussite au bac en 1820 ...
SupprimerLe problème est que ces lycéens là ne sont pas plus nombreux qu'à l'époque du cardinal de Bausset, et beaucoup moins nombreux qu'au début du XXème.
C'est la qu'est l'os hélas.
Qu'il y ait toujours une élite, c'est à peu près certain, en effet. Une preuve, par exemple : les deux volumes de Bossuet que viennent d'éditer les Belles Lettres s'ouvrent sur un texte d'introduction copieux (environ deux cent mille signes), qui est un genre de chef-d'œuvre d'intelligence, d'érudition et de profondeur. Eh bien, il est signé par un jeune homme d'une trentaine d'années pas plus ; dominicain, il est vrai.
SupprimerDisons que cette élite, on ne l'entend pas beaucoup. Mais, après tout, il en a peut-être toujours été plus ou moins ainsi.
Et voilà c'est malin, maintenant j'ai envie de lire Bossuet,l'introduction, le cardinal...
RépondreSupprimerZêtes plus contagieux que le petit Chinois vous! Caroline
C'est parce que vous êtes inconsciente au point de me lire sans votre muselière à élastiques auriculaires !
SupprimerDonc, c'est bien fait pour vous.
Non,pas question de lire Bossuet: c'était un mec de droite.À la rigueur Bourdaloue,parce que la longueur de ses prêches a donné lieuà cette amusante invention qu'est le "bourdaloue".
SupprimerJ'espère que votre appréciation de Bossuet relève de l'humour et que vous vous rendez compte qu'elle n'a rigoureusement aucun sens.
SupprimerMême chez vous,il y a des fois où le 2ème degré ne passe pas !
SupprimerEt pourtant, il était gros, celui-là !
En tant qu'évêque de Condom, il savait se préserver...
Supprimer