Pour qualifier une idée d'intéressante, il faut qu'elle n'émane pas de soi – ou alors on est un cuistre. Celle qui va suivre ne peut pas non plus être dite d'Ernesto Sábato, dans la mesure où elle est placée dans la bouche de l'un des personnages de son premier et bref roman, Le Tunnel ; personnage est d'ailleurs encore trop dire : l'importance de ce Hunter est plutôt celle d'un catalyseur. Quoi qu'il en soit, la voici : « Ma théorie, expliqua-t-il, est la suivante : le roman policier représente au XXe siècle ce que représentait le roman de chevalerie à l'époque de Cervantès. Mieux, je crois qu'on pourrait faire quelque chose d'équivalent à Don Quichotte : une satire du roman policier. Imaginez un individu qui a passé sa vie à lire des romans policiers et dont la forme de folie consiste à croire désormais que le monde fonctionne comme un roman de Nicholas Blake ou d'Ellery Queen. Imaginez que ce pauvre type se consacre finalement à découvrir des crimes et à procéder dans la vie réelle comme procède un détective dans un de ces romans. Je crois qu'on pourrait faire quelque chose qui serait à la fois amusant, tragique, symbolique, satirique et beau. »
L'auteur partage-t-il ce point de vue de son personnage ? On ne sait. Ce qui est piquant, c'est que le roman commence exactement comme un roman policier, mais dynamité avant même d'avoir pris vie. Voici la première phrase : « Il suffira de dire que je suis Juan Pablo Castel, le peintre qui a tué Maria Iribarne : je suppose que le procès est resté dans toutes les mémoires et qu'il n'est pas nécessaire d'en dire plus sur ma personne. » Ce que moyennant, le narrateur ne va plus, ensuite, parler que de lui durant cent quarante pages ; un peu, parfois, à la manière dont parle aussi le narrateur du Sous-Sol de Dostoïevski : la similitude des deux titres ne saurait être fortuite.
Maintenant, puisque je vous tiens, et qu'il est toujours difficile de quitter une si galante compagnie, je vous livre une autre réflexion du narrateur, du peintre assassin, trouvée trois ou quatre pages après la première et n'ayant rien à voir avec elle : « […] en passe de mourir de faim on accepte n'importe quoi, sans poser de conditions : mais ensuite, une fois que les besoins les plus impérieux ont été satisfaits, on commence à se plaindre, et sans cesse davantage, des défauts et des inconvénients de la nourriture. J'ai vu ces dernières années des immigrants qui arrivaient avec l'humilité de ceux qui ont échappé aux camps de concentration ; ils acceptaient n'importe quoi pour vivre et s'acquittaient avec joie des travaux les plus humiliants : mais il est assez étrange qu'il ne suffise pas à un homme d'avoir échappé à la torture et à la mort pour vivre content : dès qu'il commence à acquérir une nouvelle assurance, l'orgueil, la vanité et la prétention, qui apparemment avaient été annihilés pour toujours, se mettent à réapparaître en lui comme des animaux qui se seraient enfuis sous le coup de la peur ; et, d'une certaine façon, à réapparaître avec plus d'agressivité, comme s'ils avaient honte d'être auparavant tombés si bas. Il n'est pas difficile de comprendre qu'en de telles circonstances on puisse assister à des actes d'ingratitude et que certains oublient jusqu'à leurs bienfaiteurs. »
Il semble aller de soi que, si dans une contrée quelconque, une frange agissante de la population autochtone persuadait dès leur arrivée ces immigrants qu'ils sont traités de manière honteuse et qu'ils ne doivent surtout pas voir des bienfaiteurs là où ne sont que des exploiteurs les tenant pour à peine plus que des animaux, il va de soi que, dans ce cas, les réactions hostiles des arrivants seraient beaucoup plus rapides à survenir et sans doute décuplées. – Heureusement, un tel pays n'existe pas.
Pareil pour moi.
RépondreSupprimerUn jour, quelqu'un me fit observer que l'Iliade et l'Odyssée, ses courses de chevaux, Diomède Dompteur, etc ... il y avait matière à faire une très belle histoire de courses automobiles (les chevaux moteur d'aujourd'hui, les canassons d'hier).
Ça me rendit fou pendant une semaine.
« Imaginez un individu qui a passé sa vie à lire des romans policiers et dont la forme de folie consiste à croire désormais que le monde fonctionne comme un roman de Nicholas Blake ou d'Ellery Queen. Imaginez que ce pauvre type se consacre finalement à découvrir des crimes et à procéder dans la vie réelle comme procède un détective dans un de ces romans. Je crois qu'on pourrait faire quelque chose qui serait à la fois amusant, tragique, symbolique, satirique et beau. »
RépondreSupprimerOn a trop tendance à oublier que don Quichotte a remporté son combat, puisque les moulins à vent n'existent plus: il était simplement en avance sur son époque.
Pourquoi heureusement? Et qu'en savez-vous qu'il n'existe pas?
RépondreSupprimerJe trouve l'idée de roman intéressante, en effet. Mais ce n'est pas moi qui m'y collerai.
RépondreSupprimerMoi non plus…
SupprimerGoux pitié pour nos yeux fatigués... agrandissez la taille des caractères, bordel, sinon je me mets à commenter ici pour de vrai.
RépondreSupprimerPourquoi croyez-vous que j'écrive si petit ?
Supprimer(Sinon, un petit coup de ctrl +, et hop ! voici les lettres qui s'agrandissent miraculeusement…)
Une idée intéressante qui finalement, à l'aune du nombre de commentaires, n'a pas intéressé tant que cela !
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