Vladimir Boukovsky, 1942 – 2019. |
Je sais que mon titre a des allures de gag ; ce pourrait être un genre de farce tirée d'un film de Lubitsch. Ce n'est que la réalité de ce qui se produisit mainte fois à Moscou à la fin des années soixante et au début de la décennie d'après, si l'on en croit les mémoires de Vladimir Boukovsky (… et le vent reprend ses tours, Robert Laffont).
On me demandera peut-être à quoi il est bon de lire, ou relire, ce livre, de s'intéresser encore à toutes ces “vieilleries” d'un demi-siècle. J'y vois au moins deux raisons : 1) car tel fut ma fantaisie et mon bon plaisir ; 2) parce qu'il est hautement intéressant – et réconfortant – de voir sur quatre cents pages se dessiner la silhouette d'un homme qui, durant exactement vingt ans (1957, prise de conscience – 1976, expulsion d'URSS), de sa quinzième année à sa trente-quatrième, n'a jamais cédé un pouce de terrain, fait la moindre concession à l'ubuesque tyrannie dans laquelle le hasard l'avait fait naître ; et qui, pour s'opposer à elle, a fait preuve de ressources multiples, toujours sous-tendues par une volonté que n'ont jamais brisée la prison ni l'hôpital psychiatrique.
Parmi ces ressources, l'humour, le sens de la cocasserie, l'attrait du pied-de-nez, et le talent de jouer de ces cordes-là. Ce qui me ramène, et vous avec, à mon titre. Nous sommes donc autour de 1970, juste avant ou juste après. Sentant les lézardes se multiplier et s'agrandir, la dictature soviétique multiplie de son côté les arrestations, les descentes, perquisitions, presque toujours suivies de procès. Comment transformer cela en jeu ? En occasions de fêtes entre amis ? Je cède la parole à Boukovsky :
« Quand on se retrouve sans cesse avec les amis, il est facile de détecter le moment où se produit dans leur appartement quelque chose de suspect : leur téléphone ne répond pas, mais les fenêtres sont éclairées. Ou bien on s'est donné simplement rendez-vous, et les voilà disparus, ils n'arrivent pas : pourquoi ? Mystère. Et immédiatement, les coups de téléphone à travers tout Moscou : perquisition chez les Untel ! Taxi, en vitesse : les invités arrivent de toutes parts rapidement. Exact, perquisition. On laisse entrer tout le monde, mais laisser sortir, interdit. L'appartement regorge de monde : tapages, rires. Pas moyen de se retourner. L'un arrive avec une bouteille de vin, l'autre avec une pastèque. On en fait les honneurs à chacun, en se payant la tête des tchékistes. Dans le va-et-vient, des papiers vont s'égarer dans les poches des invités : du samizdat encombrant, des lettres imprudemment conservées et autres pièces à conviction. Allez donc prendre en filature une foule pareille !
« Les tchékistes, ruisselant de sueur, tentent de chasser les intrus : qu'est-ce que vous faites là ! Mais tous connaissent leur affaire : la loi interdit d'expulser les personnes présentes, tant que dure la perquisition. Prenez patience. Sur la table, le Code pénal, à la disposition de quiconque veut le consulter.
– Pas si fort citoyens !
– Et où est-il dit qu'il est défendu de faire du vacarme pendant une perquisition ? Montrez l'article ! »
Et la fête continue tant que dure la perquisition, c'est-à-dire, assez souvent, “jusqu'au bout de la nuit”, comme dit une publicité occidentale.
Dans son livre, Boukovsky fait découvrir à son lecteur bien d'autres façons, pas toujours aussi drôles, de résister à cette “bêtise au front de taureau” qui caractérise essentiellement les régimes communistes en général et le pouvoir soviétique en particulier. Il me semble, au bout du compte, que si l'on devait tirer une leçon unique de ces mémoires foisonnants et éblouissants de santé, sans jamais la moindre trace d'apitoiement ou de glorification de soi, ce serait quelque chose comme : aller porter le fer sur le terrain de l'adversaire (Boukovsky excelle à ce jeu dangereux), ne jamais céder, ne jamais reculer, ne jamais plier.
Ce qui est plus facile à énoncer qu'à mettre en pratique chaque jour durant vingt ans.
D'accord, mais ce n'était pas une raison pour picoler et vomir chez Bernard Pivot, toujours si gentil avec ses invités à " Apostrophes "
RépondreSupprimerToutes mes excuses : confondu avec Charles Boukovsky...
RépondreSupprimerAh, je pensais que vous faisiez de l'humour !
SupprimerDu reste, l'ivrogne américain s'orthographie Bukowski, ce qui permet de le différencier du résistant russe.
Eh ! oh ! chuis pas devin, moué !
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