Dans la série « Nos chers disparus continuent de nous les briser menu », le camarade Mtislav a réussi à pénétrer par effraction dans ma boîte mail afin d'y déposer le texte suivant, dont je ne me suis pas senti le droit de priver tous ceux qui, parmi vous, portent son deuil...
Je m'appelle Didier Goux
C’est un projet que nous avons mené depuis maintenant plus de trois ans dans notre jolie université du bord du périphérique. C’est un travail que nous avons proposé à nos étudiants de science du langage notamment, qui malgré leur brillante réussite en licence, master voire en doctorat ne maîtrisaient qu’imparfaitement certaines fonctions du langage... Il s’agissait de leur proposer un atelier d’écriture qui les motive véritablement. L’idée nous est venue dans un café où nous nous retrouvions avec un ami blogueur. Faisant le constat que les trolls étaient vraiment dépourvus d’imagination et de répondant, réunis autour de nos apéritifs, nous imaginions tout l’intérêt que pourraient donner à un blog les interventions de trollers sérieux et compétents. Signalons avant d’aller plus avant à ceux qui l’ignoreraient que l'on désigne par “troll”, sur la toile, celui qui provoque, recherche la bagarre, ou plutôt la polémique puisqu’il ne s’agit que de mots...
La conversation allait bon train sur les qualités caricaturales que devrait nécessairement posséder ce troll. À la suite de cette discussion, notre laboratoire a décroché une subvention mirobolante d’un opérateur en téléphonie mobile. Dans la guerre pour le financement de nos recherches, nous sommes habituellement les parents pauvres. Autant dire que cette manne, nous ne comptions absolument pas dessus. Il fallut assez rapidement mettre sur pied notre protocole de recherche et se lancer. Un premier groupe d’étudiants travailla sur le commentaire de blogs. Ils se référaient à la “bible” que nous avions établie pour se caler tant sur le plan politique que psychologique. De droite, politiquement incorrect, multiphobe pourrait-on dire ; obsessionnel, en quête d’une reconnaissance paradoxale, volontiers sardonique. Une question se posa rapidement au G1a (le groupe des commentateurs) que ne tranchait pas la “Bible” : pouvait-on aller jusqu’à l’insulte ? Cela donna lieu à des discussions qui furent récurrentes, la position de principe étant que l’insulte était conforme à voire nécessaire au personnage, d’autant plus crédible si elle visait une femme.
Il nous sembla que notre troll devait lui-même posséder un blog. Nous avons lancé un deuxième groupe d’étudiants volontaires, beaucoup plus réduit, sur ce projet. Le travail des étudiants du G2a était beaucoup plus facile à encadrer. Ce qui a souvent été délicat, c’est de limiter leurs ardeurs : un blogueur qui produit plus de trois billets dans une même journée aurait pu paraître peu crédible. Même s’agissant d’un sexagénaire atrabilaire, vindicatif et érotomane. Les étudiants l’ont bien compris, ont fouillé leurs billets, travaillant son côté “artiste” (raté et maudit), sa misanthropie et ajoutant au personnage une touche d’humour qui a bien inquiété les superviseurs : ce n’était pas du tout conforme au programme de départ.
Il a fallu pallier une autre difficulté : les blogueurs organisent des rencontres rituelles. Rien de mieux que d’y faire apparaître notre personnage. Le risque pouvait paraître insensé mais à la réflexion il était tout à fait limité. Dans ces réunions, chaque blogueur bouffi d’orgueil a plutôt tendance à s’écouter parler. Pour paraître fin, méchant et percutant, en un mot, pour avoir de l’esprit, il suffisait d’être précédé de la réputation d’en avoir, d’être physiquement identifiable et remarquable. Nous avons sollicité un intermittent du spectacle qui a préparé son rôle avec le G3a, ne soyez pas impressionnés, le groupe était constitué de membres des deux précédents groupes. Au total, nous n’avons été que trois professeurs et une trentaine d’étudiants à travailler sur ce projet.
Pourquoi dévoiler le “pot aux roses” me direz-vous ? Tout d’abord, notre principal bailleur de fonds a décidé de nous laisser tomber (1). Nous n’avons plus les moyens de faire fonctionner Didier Goux ! Par ailleurs, nous avons connu toute une série de difficultés dont le récit serait fastidieux (2).
Certains pourraient être tentés de reproduire cette expérience (3). Nous ne pouvons leur dire qu’une seule chose : Didier Goux, c’est moi...
(1) Pour ceux que cela intéresse, paraîtront prochainement les premiers travaux sur cette expérience. A noter que plusieurs collègues ont eux aussi lancé des travaux de ce type. Leur grand mérite est de motiver les étudiants sur le problème des fautes d’orthographe ! Ne riez pas, c’était l’un de nos objectifs majeurs pour ce qui concerne les élèves de licence. Sans avertir nos étudiants, nous avons prévenu l’auteur du blog sur lequel notre personnage allait commenter de produire toujours plus de fautes d’orthographe que notre troll. Chacun sait que quelqu’un qui ne fait pas de fautes, dans notre belle langue, c’est quelqu’un qui en fait un petit peu moins que l’autre... Cela a marché, nos étudiants ont beaucoup progressé, le travail en groupe, la relecture anxieuse de chacun des commentaires a formidablement motivé tous les participants.
(2) Des collègues d’une autre université d’Ile-de-France ont lancé une expérience similaire à la notre, créant une “famille de blogueur”, le père, la mère, le petit kéké. Pour tenter de nous déstabiliser, il ont créé un personnage de rital généreux, esthète militant et doué qui rivalise avec notre propre personnage. Les uns et les autres étant persuadés que seul leur personnage est imaginaire... Une fac du Sud-Ouest a elle aussi lancé son personnage. Le campus est actuellement bloqué dans un mouvement de protestation contre les projets de la ministre Pécresse. La seule solution qu’ils ont trouvée a été de détruire le blog de leur personnage. Cette idée était parfaitement stupide car attirant inutilement l’attention des blogueurs sur des expériences dont le but était essentiellement scientifique.
(3) Pour ceux qui jugeraient ces expériences contestables sur le plan moral, nous devons bien reconnaître qu'à plusieurs reprises la ligne jaune fut franchie. Nous tenons à nous excuser des insultes qui ont été adressées à une blogueuse, lesquelles étaient bien réelles. Je dois dire que j’en ai éprouvé une profonde tristesse et que je m’en suis beaucoup voulu de ne pas avoir eu l’idée de fabriquer un troll poli, modeste et généreux.
[14 h 46, rajout du taulier : j'ai oublié de dire que la photo prise par l'Irremplaçable représente donc un troll virtuel, accompagné d'un chien mort, sur une plage déserte. ]
Prem's !
RépondreSupprimerMince, j'ai oublié de cliquer !
RépondreSupprimerAlors, là, facile, hein !
RépondreSupprimerJ'ai pas lu, je reviendrai plus tard.
RépondreSupprimerTiens ! Il y a un bon billet, pour une fois, sur ce blog.
RépondreSupprimerJe sens que je vais exploser mon nombre de commentaires : c'est vexant...
RépondreSupprimerPas mal ! Très bon, même !
RépondreSupprimerSon nom de Didier Goux dans l'Internet désert...
J'ai rencontré votre comédien lors de rencontres de blogueurs. Vous devriez en changer. A la quinzième bière, il jette l'éponge.
RépondreSupprimerRelayé sur PMA.
RépondreSupprimerJ'espère que les étudiantes sont sexy au moins...ça vous fait passer toutes les pilules phobiques, ça !
RépondreSupprimerOn peut vraiment pas faire confiance à ces intermittents de nos jours...
Voilà, chapeau l'artiste ! Chapeau bas !
Comme il est de rigueur, je me vois dans l'obligation de créditer mon personnage séance tenante.
Les jeunes Tiffany, Rachel, Sarah, Fiona et Marie-Jeanne, ainsi que le chanceux Pierre André présentent leurs excuses pour l'imposture à laquelle ils se sont livrés. Avant d'être emmenés par la police, ils ont tenu à dire : "c'est Didier Goux qu'a commencé".
Chouette ! c'est formidable de lire du Mtislav en grande forme... J'adore l'idée que nous ne soyons que des inventions.
RépondreSupprimerMerci au taulier d'avoir publié ce texte. La porte est ouverte chez moi aussi Mtislav, au cas où !
Si j'ai bien compris, Didier Goux n'existe pas et je vis avec Mtislav ! Bizarre...
RépondreSupprimerNon, vous vivez avec 30 étudiants et un poignée de professeurs. gourgandine !
RépondreSupprimerQuand un blogueur saborde son blog, il y a tous les commentaires qui disparaissent aussi. Je comprends qu'on arrête un blog, mais qu'on l'efface ?
RépondreSupprimerSuzanne,
RépondreSupprimerSi on n'efface pas, c'est "impossible" de ne pas y revenir.
La semaine commence bien, avec du bel humour! Et Didier Goux trollant l'évangile :«lève toi et cause, Mitslav!»
RépondreSupprimerNicolas: ça fiche à moitié la trouille, votre réponse.
RépondreSupprimerOù vont les blogs supprimés ? Dans quels limbes flottent-ils? Est-ce qu'ils se rencontrent comme des bateaux se croisent? Grands voiliers lents sur des mers d'outre-monde, la soute lourde de commentaires? Les commentateurs sur le pont échangent des coucou d'un bord à l'autre, le capitaine ordonne qu'on hisse les mots et scrute l'horizon pour canonner à temps les trolls ?
Suzanne,
RépondreSupprimerY'a pas à avoir la trouille ! C'est "normal" : si j'arrêtais de bloguer et si je ne tuais pas mon blog, je serais tenté en permanence de faire un petit billet.
Je suis bêtement athée : quand on supprime un blog, à part quelques souvenirs dans la mémoire de google, il n'en reste rien. Et rien ne mérite de rester : nous ne sommes pas des artistes juste des andouilles que les doigts démangent de temps en temps.
Nicolas: pas vrai.
RépondreSupprimerIl y a des blogs qui valent leur pesant de commentaires.
Nicolas, Suzanne: vers midi, j'ai cliqué sur un lien chez Farid Taha, qui m'a affiché le dernier billet de Mtislav, sur google…
RépondreSupprimerLe Coucou,
RépondreSupprimerOui, la mémoire de google est incroyable. (à l'époque où je voulais changer de boulot, j'avais passé des mois à me "déréférencer", Google se rappelait de tout alors que mon nom n'était présent sur aucun site).
Suzanne,
Pour l'éternité ?
Le coucou : merci.
RépondreSupprimerIl y a des pages qui restent très longtemps en mémoire. Pour l'éternité, je ne crois pas, Nicolas...
En tout cas, bravo à Didier pour ce joli billet.
Incroyable cette histoire !
RépondreSupprimerSigné Napoléon
Heureusement que je suis abonnée à la newsletter Mtislav. Je l'ai su un peu avant, ça évite les trop grandes surprises.
RépondreSupprimerBien le bonsoir à vous tous, universitaires de talent, et que la lutte continue.
Cet aveu nous oblige-t-il à offrir une tournée à une trentaine d'étudiants lorsqu'il s'agira de payer un verre à Didier Goux ou bien l'intermittent pourra-t-il continuer à venir jouer au kremlin des blogs ? C'est qu'on s'y est attaché, nous...
Marie-Georges : payer un verre à Didier Goux ou à trente étudiants revient au même, en quantité d'alcool.
RépondreSupprimer(Je préfère le dire moi-même avant que Nicolas ne le fasse...)
rhaa c'est pas bientôt fini ces aneries ? me forcer à venir chez Monsieur Goux pour lire de Mtislav...
RépondreSupprimerBravo !
RépondreSupprimerC'est une sacrée idée que de nous recréer, blogueurs, en tant que personnage incarné par une armée de boutonneux en apprentissage cornakés par des professeurs à moitié hippies et totalement gauchistes.
Par exemple faire de Didier Goux le résultat d'un tel effort collectiviste, c'est carrément corrosif pour le vrai, non ?
:-)))
Un homme mort, un chien empaillé... d'accord... c'est sûrement vrais. Mais une plage déserte... je n'y crois pas... pas dans ce pays surpeuplé... pas même en plein hiver... c'est ça qui ne va pas ici.
RépondreSupprimerMoi je pose LA question : mais qui a écopé d'un retrait de permis l'an dernier, alors, entre l'Eure et Paris ? 30 étudiants boutonneux au volant d'une même voiture ? A la file dans 30 voitures ? Mistalv ? ...
RépondreSupprimerCa y est. Ca va encore être de ma faute...
RépondreSupprimerTout ce qui est dit est vrai : sinon, comment expliquer qu'un VRAI Didier Goux aurait fait un lien vers mon blog et encore plus, PLUSIEURS liens, hein, hein ?
RépondreSupprimerLe dépassement de limite de vitesse devait être une ruse.