Je reconnais volontiers que mon titre, aussi péremptoire que bref, est certainement abusif. Néanmoins, les lettres que Sartre soldat écrit presque quotidiennement à Simone de Beauvoir entre septembre 1939 et juin 1940, pour passionnantes qu'elles soient généralement, laissent transparaître une assez profonde indifférence politique chez le futur chantre de la littérature dite engagée. Pas une phrase sur le nazisme, sur le fascisme, sur le pacte germano-soviétique ; rien non plus à propos de l'agression et du démantèlement de la Pologne par Hitler et Staline conjointement. Tout se passe comme s'il ne s'agissait là que d'épiphénomènes, d'un bruit de fond fort ténu et incapable de l'atteindre. À partir du 10 juin 1940, les lettres s'espacent beaucoup, du fait des circonstances, et c'est fort dommage. Mais, jusqu'à cette date, le nom de Philippe Pétain n'est pas mentionné une seule fois. Dans ce cas, pourquoi évoquer un fumeux “pétainisme de Sartre” ? En raison d'une phrase, étrange, fortement incongrue, détachée de tout contexte, par laquelle il conclut sa lettre du 29 mai 1940. Alors que l'armée belge vient de capituler et que les lignes franco-britanniques sont enfoncées de partout, Sartre écrit ceci :
« Ce qui me frappe dans tout ça c'est l'espèce de chance historique de l'hitlérisme, qu'on dirait que les États méritent par une sorte de désagrégation profonde et irrémédiable. » (Lettres au Castor, II, Gallimard, p. 258.)
Mériter la déroute… Déliquescence des démocraties… Chance de l'hitlérisme… Il y a tout de même là, me semble-t-il – mais je ne suis pas historien, n'est-ce pas ? – un écho assez troublant de ce qu'était, au même moment, la vision maréchalienne de l'Étrange Défaite.
«En 1939-1940, nous étions terrifiés de mourir, de souffrir, pour une cause qui nous dégoûtait. C’est-à-dire pour une France dégoûtante, corrompue, inefficace, raciste, antisémite, dirigée par les riches pour les riches – personne ne voulait mourir pour ça, jusqu’à ce que, eh bien, jusqu’à ce que nous comprenions que les nazis étaient pires.» Jean-Paul SARTRE - Entretiens
RépondreSupprimerReconstruction a posteriori : le moins que l'on puisse dire est que, ni dans les Carnets de la drôle de guerre, ni dans les Lettres au Castor, Sartre ne fait montre d'aucun dégoût de ce type. Le thème est tout simplement absent.
SupprimerC'est toujours extrait de "Entretiens avec Sartre (Grasset)" livre paru en 2011 et faisant état des échanges entre Sartre et John Gerassi (universitaire américain) au début des années 1970, donc effectivement plus de 25 ans après les faits. On peut penser que le souvenir de Sartre a été influencé par la mémoire et l'expérience collectives largement échangées, analysées, disséquées sous toutes ses formes dans les milieux intellectuels, entre 1945 et le début des années 70. Il fallait sans doute pour Sartre trouver également une cohérence avec l'engagement qui était le sien à l'époque de ces entretiens.
SupprimerJ'ai par ailleurs bien pris note des critiques qui sont faites sur la fiabilité de la retranscription de ces entretiens avec Gerassi dans un précédent article de votre blog, mais il serait intéressant d'avoir connaissance des éléments qui permettraient d'étayer cette thèse.
Ma mère me disait qu'en 1940, il y avait 40 millions de pétainistes.
RépondreSupprimerMadame votre Mère était Henri Amouroux ?
SupprimerMa chère mère ne devait même connaître tout comme moi ce Monsieur mais elle avait 20 ans à cette époque du côté de Toulouse, elle se souvenait de tous ces gens chantant " Maréchal, nous voilà"; comme beaucoup de français sous l' occupation, son principal soucis était de survivre dans une atmosphère particulière.
SupprimerQu' aurions nous fait dans cette situation?
Comme le disaient dans un sketch " Les Inconnus" , certains français sont rentrés en résistance dès 1946, exagération pour l'effet comique, je ne sais, je ne juge pas car encore de nos jours il est très difficile d' évoquer ces années là sans dépasser le point Godwind.
La phrase de Sartre évoque curieusement la "divine surprise" de Maurras.
RépondreSupprimerÉtonnant en effet...
Bon, faudrait savoir: vous êtes réac, ou pas?
RépondreSupprimerAu musée Guggenheim, à Bilbao, il y a actuellement une exposition consacrée aux artistes durant l'occupation. On veut nous montrer que, malgré l'étiquette d'artistes dégénérés, on continue à peindre héroïquement dans le dos de Vichy. Or, une photo vient malencontreusement ruiner l'idée que ça pouvait être dur: au milieu de plusieurs artistes, on y voit Sartre et Simone de Beauvoir rayonnants, le sourire aux lèvres: il vient de monter Les Mouches et elle travaille à Radio-Vichy, quand elle n'est pas en week-end à Morzine. Et là, on ne peut que se souvenir de ce texte extrêmement lucide de Sartre sur la collaboration: "Si par exemple le pacifisme français a fourni tant de recrues à la collaboration, c’est que les pacifistes, incapables d’enrayer la guerre, avaient tout-à-coup décidé de voir dans l’armée allemande la force qui réaliserait la paix".
RépondreSupprimerCe genre d'individu distille toujours un double langage. Ils sont lucides sur la réalité, mais pour satisfaire leur ego démesuré, ils travaillent pour le vainqueur... fut-ce au prix de leurs idées. Il me fait un peu penser à Churchill dans le même style.
RépondreSupprimerPourquoi Churchill ?
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