Jadis, et même encore naguère, un jeune homme de basse extraction qui parvenait à se hisser dans la classe immédiatement supérieure à la sienne n'avait plus qu'une hâte : faire oublier ses origines ; et qu'une hantise : qu'on les découvrît. Rappelons-nous le petit Lucien qui, propulsé par le bon vouloir de Mme de Bargeton jusque dans les salons de Mme d'Espars ou de la duchesse de Grandlieu, s'empresse de renier son pharmacien de père, le bon M. Chardon, pour se parer des plumes du paon, en l'occurrence le nom de sa mère, demoiselle de Rubempré jusqu'à sa mésalliance.
Aujourd'hui, les Modernes issus du prolétariat arborent comme une Légion d'honneur leur mère femme de ménage ou leur grand-père fort des halles. Le snobisme est exactement le même, mais inversé, comme une veste dont on aurait décidé d'arborer la doublure. Du reste, en y réfléchissant, je trouve la version actuelle encore moins excusable, et donc plus risible, que l'ancienne. Car si Lucien se livre au reniement, c'est parce qu'il sait que, sans cette éradication du Chardon, il perd tout espoir d'épouser Clotilde de Grandlieu ; il y a un intérêt. (Il échouera, mais c'est une autre histoire, qui n'appartient qu'à Balzac – et de toute façon c'est bien fait pour lui.) Dans le cas, de notre snob contemporain, sa vanité prolétarienne (son prolorgueil…) ne lui sert rigoureusement à rien, elle n'est plus qu'une pose que l'on prend devant le miroir, en se demandant si les autres nous trouvent aussi beau que l'on se découvre. Et il y a même une certaine chiennerie, à battre (petite) monnaie sur la base de l'humblesse, de la pauvreté, voire de la misère de ses aïeux.
Evoquer ses modestes origines quand on a réussi socialement, de son point de vu, doit procurer la satisfaction
RépondreSupprimerde montrer qu'on l'a fait grâce à ses talents personnels et non pas parce qu'on est né coiffé.
Oui, il y a ça aussi, bien sûr. Mais il n'y a pas que ça…
SupprimerJ'ai vu le point de vue
RépondreSupprimerN’empêche que notre grand-père était peintre en bâtiment et notre grand-mère petite-main. Ça en jette quand même !
RépondreSupprimerOui, mais nous, on ne s'en vante pas. Enfin, si, toi, dans le commentaire ci-dessus, ce qui ruine tout mon billet. Merci, hein, merci !
SupprimerMais je ne m’en vante pas, je constate.
SupprimerEt je rajoute qu'avant d'être peintre en bâtiment, il était clown dans un cirque à Boulogne-billancourt !!!!
SupprimerCe n'était certainement pas notre grand père, qui plus est ! Le notre était peut être écrivain, chef d'orchestre, homme d'affaire....
SupprimerPeintre en bâtiment => écrivain en bâtiment. Normal.
RépondreSupprimerSi si elle s'en vante bien. Je pense que vous vous trompez Monsieur Goux, se revendiquer d'origines modestes permet de se faire bien voir aujourd'hui, et d'excuser son éventuelle réussite. Le vrai bourgeois qui a réussi ou est riche parce que papa l'était, celui-la sera authentiquement détesté par les contemporains. D'où l'intérêt, quand c'est possible, de revendiquer des origines prolétariennes.
RépondreSupprimerLa jalousie, l'envie, et la passion de l'égalité...
Le vrai bourgeois qui a réussi ou est riche parce que papa l'était, celui-la sera authentiquement détesté par les contemporains.
SupprimerA une exception près, le chaudbise. Les fils et filles sont légion, sans pour autant être détestés, bien au contraire.
Il manque encore le cas de figure encore inédit: des prolétaires fiers d'être fils de milliardaires.
RépondreSupprimer"son prolorgueil" - merde, ça c'est joli ! Heureusement que je ne suis pas communiste sinon je vous l'aurais déjà volé...
RépondreSupprimerEnfin de la vraie littérature :
RépondreSupprimerAnnie Ernaux raconte Auchan
L'écrivain publie, dans la collection "Raconter la vie" de Pierre Rosanvallon, le journal de ses passages dans un hypermarché de la région parisienne.
http://www.lepoint.fr/culture/annie-ernaux-raconte-auchan-27-03-2014-1806402_3.php
On y apprend en particulier que la grande distribution exerce une "violence" en raison de la "profusion colorée des yaourts". Il y a des gens qui vivent une vie bien protégée, je trouve. C'est étonnant, cette rengaine gauchiste : la preuve suprême de la nocivité du capitalisme, c'est qu'il y a trop de variétés de yaourts dans les supermarchés. Avec trop de couleurs différentes. Vivement les magasins soviétiques, où l'on ne risquait pas, Dieu merci, de subir cette violence chromatique.
Chez Auchan, les clients sont confrontés à "l'humiliation infligée par les marchandises". Méchantes, méchantes marchandises. Je suis allé faire les courses, j'ai été agressé par un kilo de sucre et insulté par des harengs fumés. Je suis très malheureux. Il faut faire la révolution.
"Les produits achetés sont presque toujours parmi les moins chers." On se demande bien, alors, pourquoi Auchan se donne la peine de mettre en rayon des produits chers, ou simplement d'un prix moyen. Ce doit être uniquement pour narguer les pauvres, après quoi ils les mettent à la poubelle. C'est un vice des capitalistes, ça : ils achètent des produits pour ne pas les vendre. C'est spécial. Demandez à Annie Ernaux qu'elle vous explique, elle est une spécialiste de l'économie.
A cause du "super discount", la grande distribution joue "un rôle dans l'accommodation des individus à la faiblesse des revenus, dans le maintien de la résignation sociale". Donc en fait, il faudrait que les supermarchés ne vendent que des produits hyper-chers d'une qualité dégueulasse : comme ça, les pauvres crèveraient de faim, et ils renverseraient enfin le gouvernement de François Hollande, heu... non, de Sarkozy, enfin me faites pas chier, vous voyez ce que je veux dire.
D'ailleurs, du temps des parents d'Annie Ernaux, qui étaient épiciers, le petit commerce ne jouait aucun rôle dans "l'accommodation des individus à la faiblesse des revenus". Il ne vendait que du caviar aux pauvres -- et ceux-ci l'achetaient, car ils n'avaient, fort heureusement, pas besoin d'ajuster leurs dépenses en fonction de leurs revenus.
Voilà, c'était de la littérature moderne.
Oui, j'ai aussi adoré son passage ce matin à F-Q, là où elle dit que la diversité lui manque, je ne sais plus si elle parlait de la ville de Vienne ou de l'Autriche..
SupprimerDécidément, France "Culture" pourrait s'appeler 'Rires et gens cons"
Pauvre Annie ! Laissez-lui ses sucettes !
SupprimerMerde, mais (quand même) merde, alors ! Robert, vous me donnez envie de lire Annie Ernaux, comme ça, rien que pour la beauté du geste :)
SupprimerAinsi, moi, je suis le fils d'un homme ordinaire, et d'un femme tout aussi ordinaire ; et moi même, je suis tout à fait ordinaire : comme quoi l'on peut tout aussi bien perpétuer la banalité et s'en accommoder fort bien.
RépondreSupprimerSi je prends l'exemple de Guaino, dont la mère, femme de ménage, a été abandonnée, j'ai toujours trouvé très émouvant ce constat - comme dit Catherine - qu'il fait de ses origines.
RépondreSupprimerFinalement on trouve normal d'avoir le pedigree de son chien, pourquoi nous cacherait-on celui de nos hommes et femmes politiques ?
Clotilde de Grandlieu était d'une grande laideur visiblement, son espoir de l'épouser présentait un autre intérêt dont j'ignorais l'échec ! Merci, Didier, de me raconter l'issue...je ne viendrai plus !!!
RépondreSupprimerIl faudrait parler de Srupt plutôt que de Snob. S.nob. vient des registres des collèges jésuites et était une abréviation de Sine NOBilitatis. En conséquence une personne trop bien née serait une Srupt, Sine RUPTura (Roture).
RépondreSupprimer-rt
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