Me voilà plongé, depuis deux jours, dans le Port-Royal de Sainte-Beuve (Charles-Augustin de son prénom, ce qu'un vain peuple ignore trop souvent). Je ne sais si l'auteur aura la puissance nécessaire pour entraîner ma défaillante intelligence au bout de ses mille cinq cents pages, mais enfin, pour l'instant, je me délecte de son histoire principale et au moins autant des digressions qu'il s'autorise, chemin faisant – la dernière que je viens de passer : six ou sept pages sur le Polyeucte de Corneille et presque autant, juste après, sur le Saint Genest de Rotrou. Les ignares de ma sorte apprennent quantités de choses essentielles, dites dans une langue dont la solidité ne sacrifie pas l'élégance, mais aussi d'autres, plus anecdotiques et, partant, souvent plus piquantes. On y découvre surtout des personnages qui, vus de notre temps lilliputien, paraissent hors de proportions humaines ; à commencer bien sûr par Mère Angélique, la fille de cet Antoine Arnauld à la prestigieuse descendance : coadjutrice de Port-Royal des Champs à l'âge de sept ans et demi, elle en devient l'abbesse en titre peu avant son dixième anniversaire ; et, à dix-sept ans, elle entreprend la grande réforme qui va donner à Port-Royal prestige, influence et rayonnement.
Mais voici l'anecdote. Dans une lettre à la jeune abbesse, en octobre 1609, le père Archange – gentilhomme anglais né Pembroke – lui écrit ceci : « Touchant votre demande jusques où peut aller l'honneur que vous devez à monsieur votre père et mademoiselle votre mère, etc. » Bien évidemment, le lecteur ignare de notre âge de ténèbres sursaute devant ce “mademoiselle”, qu'il n'ose tout de même pas prendre pour une distraction du bon père. Heureusement, Sainte-Beuve a prévu une note explicative, ou en tout cas éclairante. Il commence par faire remarquer que, dans ses propres lettres, saint François de Sales emploie également ce même “mademoiselle” pour évoquer mesdames Arnauld et d'Andilly. Puis, il cite le dictionnaire de Furetière, lequel nous apprend que cette appellation donnée à une femme mariée était “un titre d'honneur, mitoyen entre la madame, simple bourgeoise, et la madame, femme de qualité”.
Subtilité ravissante – je veux dire qu'elle me ravit – qui devrait donner à penser à nos suffragettes, lorsqu'elles prennent le mot “mademoiselle” comme une insulte ou, au moins, une allusion à visée vexatoire. Elles pourraient même, plutôt que de le vouer à l'enfer du vocabulaire, le coudre sur leurs étendards après l'avoir serti dans une maxime bien trempée ; du genre de celle-ci : On ne naît pas mademoiselle, on le devient ! Voilà qui ne manquerait pas d'une certaine allure ; voire d'un port royal.
Vous croyez que, depuis que les femmes ont le droit de vote en France, il existe encore des suffragettes ?
RépondreSupprimerSi on ne peut même plus se moquer…
SupprimerSuperbe chute.
RépondreSupprimerEt vous avez bien raison de nous trouver minuscules à côté des géants de jadis. Il paraît pourtant que "le niveau monte"...
Ben oui, le niveau monte. Depuis que nos suffragettes ont aboli le mademoiselle, les hommes ont appris à parler aux femmes.
SupprimerC'est le niveau de la vase qui monte, qui monte…
SupprimerTrop tard ! Je crois que "mademoiselle" a déjà été supprimé de ce que certaines de nos administrations appellent bizarrement : "civilité".
RépondreSupprimerJe fais de la résistance !
SupprimerA lire cet intéressant résumé que vous nous proposez, on est aussitôt enclin à poser un certain nombre d'hypothèses. Serait-il par exemple possible que de nos jours, une gamine de dix ans devienne Mère Supérieure d'un couvent ? La réponse unanime serait certainement négative et la cause en serait doute le manque de maturité. Sans parler du bagage culturel largement incomplet à cet âge...
RépondreSupprimerFaut-il dès lors considérer qu'à l'époque les études étaient beaucoup plus précoces et poussées qu'aujourd'hui ?
C'est une question.
Plus précoces et poussées, cela va de soi, je pense. De là à penser qu'à dix ans, Jacqueline Arnauld (mère Angélique) remplissait effectivement tous les devoirs de sa charge, il y a un pas que je me garderai bien de franchir.
SupprimerRelisant hier quelques chapitres de ce livre (fort estimable), cela m'a fait me précipiter sur la féroce démolition des abominables jansénistes par l'excellent Joseph de Maistre in De l'Eglise gallicane.
RépondreSupprimerVous ignoriez ce sens de "mademoiselle" ? J'en suis tout ébahi.
J'ai un volume de de Maistre, quelque part, en “Bouquins” : je regarderai demain si c'est dedans. Car, en effet, même après seulement 150 pages de Sainte-Beuve, ces jansénistes ne me paraissent guère fréquentables : on sent la graine de tyran qui ne demande qu'à germer.
SupprimerCe texte n'est pas dans "Bouquins, mais se trouve aisément.
SupprimerSavez-vous qui a signé la circulaire pour la suppression de "mademoiselle" dans les machins administratifs ? Un vil progressiste ?
RépondreSupprimerDaté du 21 février 2012 ! En quelle que sorte, le cadeau d'adieu de François Fillon aux demoiselles ! Mais Monsieur le Ministre est bien bon puisqu'il a autorisé l'utilisation des anciens formulaires jusqu'à épuisement des stocks !
SupprimerC'est un homme qui a le sens des petites économies !
SupprimerSinon, pour répondre à Nicolas, c'est à ce genre de détails que l'on peut voir qu'une civilisation est foutue : quand les supposés conservateurs adoptent sans moufter toutes les lubies des progressistes les plus asilaires.
C'est surtout que la droite a un sens politique nul. Prendre des mesures de gauche à deux mois des élections...
SupprimerEt c'est souvent la droite qui fait les pires conneries progressistes. Tiens ! Qui a mis le principe de précaution dans la Constitution. Les progressistes ne le font pas, eux...
Il me semble avoir lu (dans un roman d'Hector Malot, ça remonte à loin) que Mademoiselle et Madame ont pris leur sens actuel sous Louis XIV, sauf pour les princesses de France, appelées Madame, comme toutes les princesses royales.
RépondreSupprimerEt la Grande Mademoiselle, alors ?
SupprimerJe serais assez partisan de la réintroduction, dans le français moderne, du terme de "damoiseau ", utilisé du XIIe au XVIe siècles, et désignant un jeune homme de la noblesse qui n'avait pas encore été fait chevalier; il remplacerait aujourd'hui avantageusement l'anglicisme " teenager " .
RépondreSupprimerVa y avoir du boulot…
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