Cyril Connolly, 1903 – 1974. |
« J'aimerais voir s'instaurer la coutume, chez les lecteurs qui sont contents d'un livre, d'envoyer à l'auteur un petit cadeau en argent liquide : n'importe quelle somme entre une demi-couronne et cent livres sterling (1). Les auteurs recevraient alors ce que leur donnent les éditeurs comme une rémunération fixe, et ils auraient en supplément leurs “pourboires” de lecteurs reconnaissants – de la même manière que les serveurs reçoivent un fixe de leurs employeurs et ont droit aussi à ce que les clients laissent dans la soucoupe. Jamais plus de cent livres – ce serait mauvais pour mon caractère ; jamais moins d'une demi-couronne – cela ne ferait pas de bien au vôtre. »
Cyril Connolly, Ce qu'il faut faire pour ne plus être écrivain (Enemies of Promise), Livre de Poche, p. 154.
Je trouve l'idée fort intéressante, même s'il serait déraisonnable de compter sur son application pour faire fortune. Intéressante d'abord parce qu'on observerait avec malice le temps plus ou moins court que mettrait l'État prédateur à taxer cette nouvelle manne. Taxation qui se ferait bien entendu par solidarité avec les plus démunis, avec ces pauvres dont il faut taire jusqu'au nom. Du reste, puisqu'on en parle, je propose de remplacer ce vocable infamant, pauvre, par celui-ci, nettement plus seyant : Personne en situation de sans-fortunisme.
La seconde observation réjouissante que l'on pourrait faire serait celle de la tête de cet écrivain qui, ayant officiellement vendu 5648 exemplaires de son dernier chef-d'œuvre, n'aurait reçu en tout et pour tout que six enveloppes, contenant chacune à peine davantage que la demi-couronne “plancher”. Incriminerait-il la lésine de ces enfoirés de lecteurs, ou trouverait-il la force morale de remettre en cause ses propres talents de romancier ?
Enfin, il y a gros à parier que l'on verrait rapidement éclore tel ou tel comité d'écrivains de gauche, pris parmi les smicards de la demi-couronne, qui exigerait que fussent mutualisées toutes ces enveloppes afin que leur contenu fût redistribué entre tous les écrivains (à l'exception de ceux dont on aurait prouvé la collusion avec l'extrême droite, il va sans dire) selon les principes égalitaires les plus stricts et sous le contrôle forcément impartial du ministère des Interventions culturelles et des Subventions. Les écrivains de droite hurleraient à la soviétisation des lettres, à la culture goulaguisée, cependant que les écrivains de gauche à forts tirages et à grosses enveloppes multiples garderaient un silence expectatif plein de noblesse.
Bref, on s'amuserait beaucoup. Ce qui, chacun le sait, est toujours plus gratifiant que de s'enrichir.
(1) Le livre de Connolly date de 1938 : précision utile pour ceux qui chercheraient à savoir à combien d'euros actuels correspondent la demi-couronne et la centaine de livres sterling.
Il faudrait aussi prévoir les années pendant lesquelles l'écrivain serait peu inspiré et ne publierait rien ; l'État se substituerait alors aux non -lecteurs, dans le cadre d'un statut des intermittents de l'écriture.
RépondreSupprimerTrès juste !
SupprimerCe que vous décrivez comme le comité d'écrivains de gauche a pour équivalent la SACEM dans le domaine de la musique, espèce d'organisme encore plus délirant (vous passez de la musique dans un bistro, il faut payer au collectif et pas aux auteurs compositeurs interprètes alors que vous leur faites de la publicité). Et ce n'est pas un machin de gauche géré par le ministère mais une institution privée qui n'a rien d'égalitariste puisque la répartition des gains est en faveur des plus gros (mais a quand même le mérite de faire vivoter quelques crevures).
RépondreSupprimerDans la SACEM, il n'y pas cette notion de "pourboire volontaire", cependant.
SupprimerJe note, qu'à ma connaissance, aucun commentateur n'a jamais eu l'idée aussi honteuse que saugrenue, de demander ne serait-ce qu'un pourboire aux tenanciers de blogs à qui, je me suis laissé dire, qu'ils apportaient des lecteurs ?
RépondreSupprimerLes commentateurs seraient-ils, eux, de la race des seigneurs pendant que, comme l'explique Philippe Barthelet, même chez les ministres, il y a "concours pour exhiber ses quartiers de roture" ?
Je vous demande bien pardon : si l'on suit Connolly, ce devrait être aux commentateurs d'envoyer une enveloppe au tenancier du blog, dès qu'ils sont satisfaits de l'un de ses billets !
SupprimerÇa ne s'appelle pas des cookies ?
Supprimer"5648":on croit saisir une allusion auto-fictionnelle... Beaucoup d'auteurs des bataillons de la "rentrée littéraire" se satisferaient, et même se rengorgeraient de ce chiffre, ce qui n'est certes pas une consolation.
RépondreSupprimerCalame
Vous plaisantez, j'espère ? Je serais déjà fier comme un petit coq de basse-cour si j'avais vendu le dixième de ça !
Supprimer(Je ne parle pas de mes travaux d'écrivain en bâtiment qui, eux, se vendaient au moins dix fois plus…)
Ça existe pour ceux que l’on appelle les créateurs de contenus sur le web, ça s’appelle Tipee ou Patreon et rien ne vous empêche d’en faire autant et de mettre un petit bouton sur le blog pour pousser votre questionnement jusqu’au bout et voir les cerfa que l’état vautour va vous envoyer et combien va-t-il vous ponctionner? Ce serait drôle à raconter dans votre journal et je m’engage à « tiper » comme on dit mensuellement une somme encore à déterminer!
RépondreSupprimerUne fois de plus, donc, la réalité dépasse la fiction (et l'affliction).
SupprimerJe ne vois pas en quoi la rémunération des blogueurs serait une "affliction".
SupprimerCe qui est une affliction c'est que leur compte Patreon ou Tipee est supprimé si ils "marchent en dehors des clous".
C'était juste l'attrait du calembour…
SupprimerMais si vous voulez qu'on vous envoie du fric, dites-le franchement ou bien faites comme les "grands blogueurs" de gauche, mettez un bouton "faire un don".
RépondreSupprimerAh, mais pas du tout ! Moi qui, toute ma vie d'adulte, ai été payé pour écrire des conneries, je trouve fort amusant de me mettre à le faire gratuitement sur mes vieux jours.
SupprimerC'est qui les "grands blogueurs de gauche" ?
SupprimerC'est vrai, ça : des noms ! des noms !
Supprimerje parle pas de toi andouille ! regarde dans ta blogliste, y en a au moins deux ou trois
SupprimerMais qui, bon sang ? On ne va quand même pas se taper tous les branquignoles de sa blogoliste pour trouver trois gagne-petit !
SupprimerSurtout que ça fait 20 ans que je ne n'ai pas regardé ma blogomachin dont je n'ai pas grand chose à cirer...
Supprimermais si, mais si.
SupprimerY a m'sieur Haka qui s'dégonfle ! Ouh !
SupprimerBen la comparaison avec un pourboire me semble pas si incongrue. Pour 15 euros on peut trouver de quoi nourrir son esprit plus que ne saurait le faire un repas au restaurant, pour son estomac.
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