Il est une chose pire que de céder à l'attrait d'un mauvais calembour, comme je viens de le faire en titre, c'est, ce faisant, d'exprimer l'exact contraire de ce que l'on aurait dû et voulu dire. Car, c'est tout sauf une corvée, que la lecture de Pluche ou l'amour de l'art, roman écrit par Jean Dutourd au milieu des années soixante. De quoi s'agit-il ?
D'un narrateur-peintre qui raconte : lui, sa vie, son œuvre, les rares gens qu'il fréquente. C'est tout ? C'est tout. Mais c'est beaucoup, car Dutourd est un écrivain qui a la grâce. Celle de vous empoigner avec une sorte de nonchalance, comme si, au fond, il ne tenait pas plus que cela à ce qu'on le lise. Il est heureux que l'on soit là, ça se sent, mais si on refermait le livre sans aller au bout, il n'en ferait pas une histoire. Tout juste un léger haussement d'épaules avant de rallumer sa pipe. Peut-être éprouverait-il une vague pitié pour ce pauvre nous qui n'aurait pas su voir avec quelle délicatesse il avait entrouvert les âmes humaines et orchestré sans grosse caisse intempestive leurs fantaisies aussi bien que leurs lourdeurs.
Car au long de ces trois cents pages, pourtant centrées sur un univers fort restreint, c'est toute une comédie humaine qui se donne ; mais, encore une fois, sans éclats de voix ni appels du pied : Dutourd, dans ses meilleurs jours, est une sorte de Balzac miniaturiste et bien élevé. Il est aussi éminemment cultivé, mais “sans rien en lui qui pèse ou qui pose”.
L'ami en question me dit, moitié sérieux, moitié plaisantant, qu'on ne pouvait pas prétendre à devenir illustre avec un nom se terminant en “our”. Ça n'était pas si mal vu. Si encore M. et Mme Dutourd avaient eu la bonne idée de rehausser la banalité franchouillarde de leur patronyme d'un flamboyant prénom pour leur fils unique, quelque chose comme Hégésippe ou Népomucène, très bien ! Mais Jean, franchement…
J'optais, moi, pour le si mal considéré “délit de faciès”. On aime les écrivains au regard d'aigle et la chevelure au vent, style Chateaubriand. À l'autre bout du spectre, on peut aussi être fasciné par les gueules cabossées de la vie, façon Artaud ou Houellebecq ; ou encore éprouver une sorte de fascination-répulsion pour les simili-clochards ressemblant à Céline ou à Léautaud.
Mais, là, vraiment… Cette vêture de notaire de province, d'où émerge une tête de Français terriblement moyen avec, cerise sur ce gâteau, la moustache du parfait beauf qui ne déparerait pas la trogne du patron crémier d'Au bon beurre, le trop célèbre livre de son auteur (“trop” parce que c'est en fait un assez mauvais roman)… C'est comme si Dutourd avait cherché à se faire pardonner d'être si intelligent, si cultivé, si profond sans avoir l'air d'y toucher, si doué, bref : si écrivain.
Est-il un grand écrivain ? Eh ! je ne suis pas un prof de lettres réquisitionné pour un jury d'examen ! Mais enfin, si je devais à tout prix le situer tout de même (sous peine d'un rapport carabiné à l'académie dont je dépends…), je le placerais dans les premiers du second rayon, ce qui devrait suffire à lui assurer une jolie immortalité provisoire.
Si l'on veut à toute force que j'exprime une critique, ou au moins une réserve, ce serait celle-ci : dès qu'ils se mettent à parler, tous ses personnages s'expriment comme Jean Dutourd lui-même, au lieu d'avoir chacun son langage propre. Mais comme Dutourd écrit d'une façon fort élégante et agréable, ça reste moindre mal.
Pluche ou l'amour de l'art est-il à lire, au bout du compte ? Oui. Et sans doute
aussi à relire, tant il s'apparente souvent à une causerie au coin du
poêle, de celles qu'on a envie de prolonger ou de reprendre. Mais enfin, vous ferez comme vous voudrez : je m'en fous.
Si vous vous en foutez, je refuse de vous dire si je vais le lire.
RépondreSupprimerCe suspense est proprement insoutenable !
SupprimerDG