À Audine
Ça s'est donc passé comme ça. Rendez-vous au TGI (tribunal de grande instance) de Versailles, à neuf heures : bureau 206 A, 2e étage. En tant que dangereux malade du retard, je contrains mon Irremplaçable Chauffeur de partir à sept heures - ce que nous faisons.
Ce que nous faisons à juste raison, dans la mesure où deux ou trois connards croient bon de fomenter un accident sur l'A 13, qui nous mène au château de Versailles vers huit heures et demie. Nous voilà néanmoins installés dans un épais couloir d'un palais de Justice labyrinthique sur les coups de neuf heures moins le quart (où aucun coup ne sonne bien évidemment). Nous sommes seuls, l'Irremplaçable et moi, elle lisant Jude l'obscur de Thomas Hardy, moi révisant La Violence et le Sacré, de René Girard. Et le temps passe...
Arrive notre avocat. Puis, les douze ou quinze personnes convoquées également à neuf heures. Sur les coups de dix heures moins le quart, se pointe une sorte de bonniche en jean et chemisier à fleurs, tellement mal fringuée que je la prends pour une enseignante de collège : c'est le procureur de la République.
Ce que nous faisons à juste raison, dans la mesure où deux ou trois connards croient bon de fomenter un accident sur l'A 13, qui nous mène au château de Versailles vers huit heures et demie. Nous voilà néanmoins installés dans un épais couloir d'un palais de Justice labyrinthique sur les coups de neuf heures moins le quart (où aucun coup ne sonne bien évidemment). Nous sommes seuls, l'Irremplaçable et moi, elle lisant Jude l'obscur de Thomas Hardy, moi révisant La Violence et le Sacré, de René Girard. Et le temps passe...
Arrive notre avocat. Puis, les douze ou quinze personnes convoquées également à neuf heures. Sur les coups de dix heures moins le quart, se pointe une sorte de bonniche en jean et chemisier à fleurs, tellement mal fringuée que je la prends pour une enseignante de collège : c'est le procureur de la République.
Mon avocat (qui se trouve être également l'avocat d'à peu près tout le monde) m'explique qu'il y a deux solutions. Le procureur-bonniche peut décider de faire passer les "clients" dans leur ordre d'arrivée ; ou bien dans celui que le "rôle" transmis par le tribunal lui dicte. La bonniche choisit la deuxième solution. Moyennant quoi, je me retrouve avant-dernier : je passe exactement quatre minutes devant la bonniche, aux environs de midi moins vingt-cinq. Seule chose que j'ai à lui dire : oui, je trouve merveilleux de payer 800 € et de n'avoir que six mois de retrait de permis (que j'ai de toute manière, et contre lesquels elle ne peut rien). Rendez-vous à 14 H, ailleurs dans le labyrinthe, avec le juge qui doit entériner l'affaire.
Le juge en question est plus consciencieux : alors que le procureur avait cinquante minutes de retard, il n'en a que vingt. Cette fois, la séance est publique. On s'entasse, on écoute, on patiente. Histoire de me faire moins chier, je prends des notes. Je suis furieusement décalé, mais alors furieusement.
En dehors de Lahrbi ben Mes glaouis (je modifie son nom), 41 ans, qui est là pour avoir explosé la gueule de son épouse légitime (laquelle, après avoir porté plainte, a retiré sa plainte le matin même, est revenue sagement vivre avec ce charmant mari), je suis le seul à :
1) être français de souche,
2) avoir plus de 30 ans,
3) savoir qu'on dit "oui, M. le Président", plutôt que "ouais".
À part le cogneur d'épouse légitime dont on vient de parler ( le président fait discrètement part de son étonnement quant au retour de l'épouse (de ce cogneur récidiviste), mais c'est sans doute parce qu'il est raciste et ne connaît pas les autres cultures), tous les autres sont condamnés pour avoir conduit sans permis : soit parce qu'ils n'en avaient plus, soit pas du tout. Y compris la petite Viet assez mignonne, dont Catherine espérait vaguement qu'elle soit liée à une affaire de prostitution ou de massacre d'ours : non, elle avait juste conduit sans permis - décevant, je reconnais.
Lorsque mon tour est venu, Catherine me dit qu'il y eut un hoquet derrière elle lorsque le président annonça une amende de 800 €. Pour les autres, en effet, la peine était soit de deux mois de prison avec sursis "simple" (je ne sais pas ce que cela veut dire), soit, par deux fois, "100 jours/amende à 5 € par jour". Là, j'ai fini par comprendre : cela signifie que le condamné doit payer ces cinq euros chaque jour, durant trois mois un tiers. Il peut évidemment payer en deux, trois, dix, voire une fois - comme cela l'arrange. Mais chaque "5 €" qu'il ne paie pas, au bout de ces cent jours, se transforme en autant de jours de prison effectifs.
Bref, j'ai appris des trucs, je me suis ruiné les miches sur des chaises inconfortables, j'ai croisé de tout petits magistrats ne méritant pas plus que le smig-et-demi qu'ils gagnent par mois, mais qui affirment leur microcosmique pouvoir en arrivant systématiquement un ou deux quarts d'heure en retard à leurs audiences de merde.
J'ai vérifié également que, si on pouvait payer 800 € d'amende, on ne vous faisait pas trop chier sur la durée du retrait de permis.
D'une manière plus essentielle (si je puis dire), il va de soi que toute personne pénétrant dans un palais de Justice est de toute façon coupable ; coupable d'être là, même si, in fine, elle est déclarée innocente (ce qui n'était pas mon cas, loin s'en faut).
Pour aller dans le sens de Renaud Camus (qui n'a nul besoin de moi pour cela), le langage qu'emploient entre eux les avocats, les juges, les procureurs, and so on, sans même parler de la manière dont ils s'habillent, semble prouver que ces gens n'ont désormais plus la moindre supériorité intellectuelle sur la marchande de fruits & légumes de Pacy-sur-eure ; laquelle, au moins, fait superbement son boulot, et ouvre sa boutique à l'heure indiquée sur sa devanture.
Le juge en question est plus consciencieux : alors que le procureur avait cinquante minutes de retard, il n'en a que vingt. Cette fois, la séance est publique. On s'entasse, on écoute, on patiente. Histoire de me faire moins chier, je prends des notes. Je suis furieusement décalé, mais alors furieusement.
En dehors de Lahrbi ben Mes glaouis (je modifie son nom), 41 ans, qui est là pour avoir explosé la gueule de son épouse légitime (laquelle, après avoir porté plainte, a retiré sa plainte le matin même, est revenue sagement vivre avec ce charmant mari), je suis le seul à :
1) être français de souche,
2) avoir plus de 30 ans,
3) savoir qu'on dit "oui, M. le Président", plutôt que "ouais".
À part le cogneur d'épouse légitime dont on vient de parler ( le président fait discrètement part de son étonnement quant au retour de l'épouse (de ce cogneur récidiviste), mais c'est sans doute parce qu'il est raciste et ne connaît pas les autres cultures), tous les autres sont condamnés pour avoir conduit sans permis : soit parce qu'ils n'en avaient plus, soit pas du tout. Y compris la petite Viet assez mignonne, dont Catherine espérait vaguement qu'elle soit liée à une affaire de prostitution ou de massacre d'ours : non, elle avait juste conduit sans permis - décevant, je reconnais.
Lorsque mon tour est venu, Catherine me dit qu'il y eut un hoquet derrière elle lorsque le président annonça une amende de 800 €. Pour les autres, en effet, la peine était soit de deux mois de prison avec sursis "simple" (je ne sais pas ce que cela veut dire), soit, par deux fois, "100 jours/amende à 5 € par jour". Là, j'ai fini par comprendre : cela signifie que le condamné doit payer ces cinq euros chaque jour, durant trois mois un tiers. Il peut évidemment payer en deux, trois, dix, voire une fois - comme cela l'arrange. Mais chaque "5 €" qu'il ne paie pas, au bout de ces cent jours, se transforme en autant de jours de prison effectifs.
Bref, j'ai appris des trucs, je me suis ruiné les miches sur des chaises inconfortables, j'ai croisé de tout petits magistrats ne méritant pas plus que le smig-et-demi qu'ils gagnent par mois, mais qui affirment leur microcosmique pouvoir en arrivant systématiquement un ou deux quarts d'heure en retard à leurs audiences de merde.
J'ai vérifié également que, si on pouvait payer 800 € d'amende, on ne vous faisait pas trop chier sur la durée du retrait de permis.
D'une manière plus essentielle (si je puis dire), il va de soi que toute personne pénétrant dans un palais de Justice est de toute façon coupable ; coupable d'être là, même si, in fine, elle est déclarée innocente (ce qui n'était pas mon cas, loin s'en faut).
Pour aller dans le sens de Renaud Camus (qui n'a nul besoin de moi pour cela), le langage qu'emploient entre eux les avocats, les juges, les procureurs, and so on, sans même parler de la manière dont ils s'habillent, semble prouver que ces gens n'ont désormais plus la moindre supériorité intellectuelle sur la marchande de fruits & légumes de Pacy-sur-eure ; laquelle, au moins, fait superbement son boulot, et ouvre sa boutique à l'heure indiquée sur sa devanture.
Eh bien, c'est Nathalie, ma marchande de légumes, qui va être contente d'apprendre ça quand je vais lui raconter ! N'empêche qu'à cause de leur ***** de retard, on a même pas pu visiter les château !
RépondreSupprimerDidier, vous vous en tirez plutôt bien.
RépondreSupprimerLa prochaine fois que je me ferai gauler (si prochaine fois il y a) j'évite l'Indre et je me fais choper à Mantes la Jolie. C'est presque une partie de plaisir à vous en croire...
Et bien on s'en souviendra de cet apéro au Kremlin Bicêtre dites...
RépondreSupprimerQue vous êtes provocateur Didier ! Audine va certainement apprécier la dédicace, mais à mon avis, elle l'aurait mieux goutée avec un lien !
RépondreSupprimerSylvie,
Ce n'était pas seulement un apéro mais plusieurs, suivis d'un dîner !
Je ne crois pas que DG lise mon blog ...
RépondreSupprimerSur le billet, j'ai plein de trucs à dire, mais il me faut du temps.
A bientôt.
(très beau reportage, d'ailleurs)
RépondreSupprimerouf!contente et soulagée que ça se soit bien passé...ça veut dire que tu peux reconduire à nouveau à partir de quand? tu mérites que je te demandes de venir me chercher (une fois de plus) à l'aéroport. Quelle est la pire des punitions? les 800€ ou mes 2 flots?
RépondreSupprimerje suis passée une fois devant le juge. Contre moi:le connard de père de ma fille qui s'était baré avec elle, et je confirme...en Espagne aussi, il y a un tas de fonctionnaires de la (in)justice qui ne mérite pas le smig.
"La bonniche tellement mal fringuée que je la prends pour une enseignante de collège": là, Didier, je vous félicite! Vous avez un sens aigu de l'observation.
RépondreSupprimerEt la conclusion est valable aussi pour les enseignants: plus la moindre supériorité intellectuelle sur leurs élèves qui, eux ont des vêtements de marque!
L'Irremplaçable a bien du mérite de se plonger dans "Jude l'obscur". Je l'ai étudié à la fac il y a .... un certain temps, je ne m'en suis pas encore remise!
RépondreSupprimerSophie,
RépondreSupprimerLe Kremlin-Bicêtre n'a rien à voir dans cette histoire. Faut pas abuser !
Didier,
Y'a une buvette au tribunal ?
Je croyais que Didier ne buvais qu'au KB mais s'il le fait partout, où va la France me demande-je !
RépondreSupprimerOlivier : c'est grâce à cette procédure accélérée, qui n'existait peut-être pas quand vous vous êtes fait gauler : les peines sont censées y être plus légère que par la procédure normale.
RépondreSupprimerSylvie : je confirme que ce n'était pas au KB. Mais Nicolas était néanmoins mêlé à l'affaire...
Zoridae et Audine : Il y a plus de hasard que de malice. J'ai eu l'idée de la dédicace en tout premier, avant de savoir ce qu'il y aurait dans le billet. J'ai donc commencé par écrire "à Audine". Arrivé à la fin du billet, les trois bières aidant, j'ai été infoutu de me souvenir pourquoi je voulais dédier ce texte à Audine. J'ai néanmoins laissé la dédicace. Pour le lien vers son blog (qu'il m'arrive de lire, mais si, mais si), j'ai simplement eu la flemme...
Adeline : je récupère si tout va bien le 10 octobre.
(Mais pour l'aéroport, tu peux te brosser, Kriss !)
Orage : il y a des petites provocations auxquelles j'ai du mal à résister, j'avoue. Pour Jude l'obscur, c'est un roman magnifique, mais pas d'une gaieté folle, reconnaissons-le.
Nicolas : on a bu de l'eau minéral toute la journée ! Sauf une Leffe en terrasse quand tout a été fini.
Bon, ben tout est bien qui finit pas trop mal, alors ... les 6 mois sont bientôt tirés et 800 euros, ma foi ... c'est plutôt intelligent que la sanction soit adaptée à la situation personnelle du contrevenant, non ? ... même si, 800 euros, je comprends bien qu'ils seraient mieux dans votre poche !
RépondreSupprimerAdeline, kess tu faisais debout à près d'une heure du matin ? Moi, je viendrais te chercher à l'aéroport, t'inquiètes !
RépondreSupprimerManue : de toute façon, nous connaissant, les 800 € en question n'y seraient pas restés longtemps, dans ma poche...
RépondreSupprimerEt j'ai oublié de précisé que, payant tout de suite, j'ai bénéficié d'un abattement de 20 % : quand la Justice joue les marchands de tapis...
"on a bu de l'eau minéral"
RépondreSupprimer"Et j'ai oublié de précisé que..."
Eh bé, ne forcez pas trop sur l'eau minéralE
@Didier
RépondreSupprimer"c'est grâce à cette procédure accélérée, qui n'existait peut-être pas quand vous vous êtes fait gauler..."
Vous me rassurez, désormais, j'aurai l'âme en paix et le coeur en fête quand je roulerai bourré
Tain, la honte ! Voilà ce que c'est que d'écrire des commentaires mal réveillé ! Et sans les relire encore...
RépondreSupprimerEt j'ai oublié de précisé que,
RépondreSupprimerEt de deux mon cher cousin.
(si je dis mon cher cousin c'est que tu as un autre Kris qui visite ton blog.
Jude l'obscur. Magnifique lecture. Je vous laisse le reste...
RépondreSupprimerBon compte-rendu.
RépondreSupprimerDans mes derniers rendez-vous avec la justice m'a frappé la manière dont les rapports s'articulent entre ces professionnels du droit. Des obséquieux avec les anciens et puissants jusqu'aux jeunes loups carnassiers qui affichent déjà leur carrièrisme, c'est toute une société...
Vraiment, vous et Renaud Camus ne pensiez pas que la justice avait deux voire trois vitesses ? Entre les Assises et le qutodien du jugement à la française ?
RépondreSupprimerQu'il y a toujours eu un écart particulièrement significatif entre le commis d'office et le libéral ultra-pignonné-sur-rue ?
Un écart entre la justice pour petits ciminels (ou pas criminels du tout) et grands criminels ?
C'est un peu comme la différence entre un généraliste et un médecin spécialiste...
Votre témoignage constitue un très bon révélateur de l'état actuel de la France !
RépondreSupprimerJe vais me permettre deux ou trois observations concernant l'état actuel du français...
Le verbe "espérer" ne devrait-il pas se construire encore et toujours avec l'indicatif (parfois le conditionnel), et non avec le subjonctif ?
Je vous dis cela parce que la proposition :
"dont Catherine espérait vaguement qu'elle soit liée à une affaire de prostitution ou de massacre d'ours"
serait mieux écrite ainsi :
"... qu'elle serait liée à..."
Et le mot "heure" ne devrait-il pas s'abréger encore et toujours par un h minuscule ?...
Avec toutes mes amitiés.
Didier se fait troller en grammaire... Savoureux non ?
RépondreSupprimerDorham : mais si, bien sûr ! Je ne parlais ici que de leur langage, de leurs manières d'être, qui prouve une sorte de prolétarisation (Camus dirait de "petite-bourgeoisisation") dans un milieu professionnel qui, il y a encore quelques décennies, relevait essentiellement de la "bonne" bourgeoisie. Il en va de même, mais à un stade de décrépitude encore plus avancé, pour le corps enseignant.
RépondreSupprimerRicci : vous avez parfaitement raison : honte sur moi !
Zoridae : tout ça se paiera...
Alors ? Est-ce que vous avez fait tel Henry Fonda dans "12 Angry Men" un discours tonitruant qui a abasourdi les jurés, en arpentant la pièce de long en large pendant deux heures ?
RépondreSupprimerA oui c'est vrai, pas de jurés...
Beaucoup ri en vous lisant!
RépondreSupprimerVais p't-être continuer à vous lire d'ailleurs...
Qui sait...
;-)