vendredi 16 octobre 2009

Faut-il supprimer le droit de grève aux fonctionnaires (et plus si affinités) ?

Les fonctionnaires sont-ils des “travailleurs” comme les autres ? À l'évidence, non. Doivent-ils avoir les mêmes droits, n'ayant pas les mêmes contraintes ? (J'ai dit “pas les mêmes”, je n'ai pas dit “moins”, on le notera...). Comme élément de réflexion, le texte ci-après.

(Parmi une multitude d'autres, j'ai choisi cette photo non seulement en fonction de son puissant ressort comique, mais aussi parce que la banderole illustre très bien, résume même, le malentendu concernant les fonctionnaires, qui ne sont naturellement pas au service du peuple mais bien à celui de l'État.)


« Comme l'indiquent les diverses expressions qui servent à la désigner, Fonction publique ou Civil Service, l'administration appartient à la sphère du public, mais les fonctionnaires sont dans une situation très spéciale, voire discordante, suivant qu'on les considère comme serviteurs de l'État ou comme salariés revendiquant les mêmes droits que les autres salariés. Logiquement et politiquement, ils ne sont pas des travailleurs comme les autres, puisqu'ils gèrent le bien commun et que de ce fait ils doivent se plier aux impératifs de la relation publique, mais en fait, et de plus en plus de nos jours [ce texte date de 1965...], ils réclament l'assimilation aux employés et aux travailleurs du secteur non public. Il en résulte toutes sortes de chocs et de conflits qui ne peuvent que s'aggraver avec l'extension de la bureaucratie, le développement de certains services techniques nouveaux et éventuellement de nouvelles étatisations. Chose plus curieuse, la croissance en effectifs et en étendue des services publics s'accompagne d'une privatisation croissante des rapports entre les fonctionnaires et l'État. Il est hors de doute que la constitution de syndicats de fonctionnaires, possédant un pouvoir de décision autonome, renforce les possibilités d'intervention de l'autorité privée dans le secteur public, au même titre que les autres groupes de pression. Si l'on avait adopté divers points du programme de l'anarcho-syndicalisme, que continue à agiter encore de nos jours l'un ou l'autre leader syndicaliste, on en serait venu à livrer l'État, qui est le bien de tous les citoyens, à des organismes politiquement irresponsables, parce que de nature privée. En tout cas le fait demeure qu'une grève générale et totale des services publics réduirait le gouvernement à l'impuissance et suspendrait effectivement l'existence de l'État. Somme toute, l'intrusion du privé dans le public n'a jamais eu tant de chances qu'à notre époque caractérisée d'autre part par une extension indéfinie de la sphère publique. De ce paradoxe de la société moderne, il est impossible d'évaluer les conséquences, parce que nous n'en avons même pas encore pris la mesure. »

Julien Freund, L'Essence du politique, p. 324.


Encore Freund écrivait-il cela à une époque où les facteurs et les gardes-champêtres portaient encore un uniforme distinctif ; où, lorsqu'on se rendait au bureau des PTT (cette Poste désormais à l'agonie que d'aucuns prétendent “sauver”, alors qu'elle s'est suicidée de volonté pleine), on avait affaire à une “demoiselle de la poste”, c'est-à-dire à une institution, et non, comme aujourd'hui, à de quelconques Josiane ou Nadine dont le prénom semble désormais être la seule raison sociale, le seul lien contractuel avec le public, au service duquel elles sont pourtant censées être toujours.

J'ajoute que les cinq ou six pages qui suivent l'extrait que je viens de transcrire mériteraient de l'être également. Mais bon...

26 commentaires:

  1. Voilà une question bien plus forte que la nomination du morveux à la Défense (et que mes élucubrations sur tel ou tel blogger).

    RépondreSupprimer
  2. Je suis désolé, je sors de trois heures de réunion où mon chef m'empêchait de dormir...

    Je ne reviens pas sur le texte parce que je crois qu'il est d'une autre époque (une partie des propos restent vraie).

    C'est votre conclusion, Didier, qui m'inspire...

    "à une époque où les facteurs et les gardes-champêtres portaient encore un uniforme distinctif". Les gardes-champêtres ont été remplacés par les policiers municipaux, et, comme les facteurs, ils portent toujours des uniformes !

    RépondreSupprimer
  3. Nicolas : Où avez-vous vu des facteurs en uniforme, récemment ?

    RépondreSupprimer
  4. Bah chez moi par exemple ... mais dites, vous y avez jamais travaillé dans une fonction publique ?

    RépondreSupprimer
  5. Non, jamais. Mais mes deux parents y ont fait toute leur carrière.

    RépondreSupprimer
  6. Pour répondre à la question-titre, je dirais OUI.

    Un fonctionnaire est un soldat au service de l'Etat (lui-même au service -théoriquement- de la nation et du peuple -théoriquement, car en pratique, en république, c'est assez corsé.

    Ils ne devraient même pas avoir le droit de se syndiquer. Pourquoi pas un syndicat de militaires, tant qu'on y est.

    En contrepartie, ils doivent bénéficier de la sécurité de l'emploi à vie et d'autres petits avantages ... (ici un mot qui m'échappe, genre subséquents, attenants, adéquats, quelque chose comme ça)

    RépondreSupprimer
  7. Subséquent me semble adéquat...

    (Ou l'inverse, je ne sais plus !)

    RépondreSupprimer
  8. Nicolas : le texte n'est pas "d'une autre époque", ça ne veut rien dire, ça. La République de Platon, Le Prince de Machiavel ou De la guerre de Clausewitz sont également "d'une autre époque" : cela signifie-t-il qu'ils n'ont plus rien à dire ?

    Le livre de Freund traite de "l'essence" du politique, c'est-à-dire de ses invariants. À ce titre, il reste parfaitement "opérationnel". Mais, bien entendu, on peut le discuter.

    RépondreSupprimer
  9. Didier,

    Au Kremlin-Bicêtre et à Loudéac ! Je ne vois pas de facteur ailleurs. Peut-être que par chez vous, ils viennent en voiture, mais en ville (en vélo), ils sont en uniforme (un peu décontracté, je vous l'accorde, mais je ne suis pas réactionnaire).

    N.B. : Dites moi que je n'ai pas écrit "une partie des propos restent vraie" ci-dessus et que c'est le correcteur orthographie qui boit.

    RépondreSupprimer
  10. Je confirme, le facteur est reconnaissable entre tous. Il a bien un uniforme. A Paris même.

    RépondreSupprimer
  11. Didier,

    Si si, ils sont d'une autre époque. Les employés de La Poste et de France Télécom ne sont plus fonctionnaire... De même que beaucoup d'autres "administratifs" avec qui nous sommes en contact, notamment les "fonctionnaires territoriaux", ne sont pas des employés de l'état.

    Ca me rappelle d'ailleurs que je voulais revenir sur une partie de votre conclusion.

    "cette Poste désormais à l'agonie que d'aucuns prétendent “sauver”, alors qu'elle s'est suicidée de volonté pleine". Bof. Ce n'est pas de "volonté pleine" dans le sens où les employés qui fondaient cette institution qui ont voulu les changements (notamment le changement de statut "d'administration" - avec la disparition du "Ministère des PTT" - en "société presque normale" - et prochainement en SA).

    RépondreSupprimer
  12. Si, par uniforme, on entend un pauvre coupe-vent informe estampillé "la poste", c'est un peu maigre. Personnellement je préfère celui d'une hôtesse d’Air France aux talons haut et aux yeux bleus autoritaires. C’est mon côté fétichiste du privé.

    RépondreSupprimer
  13. Mc oilp,

    Malheureux ! Les hôtesses de l'air ont souvent, maintenant, de très informes pantalons foncés et pas une jupe arrivant strictement au dessus du niveau des genoux.

    Alors, vous voyez que je suis réac, aussi ?

    RépondreSupprimer
  14. « Il est hors de doute que la constitution de syndicats de fonctionnaires, possédant un pouvoir de décision autonome, renforce les possibilités d'intervention de l'autorité privée dans le secteur public, au même titre que les autres groupes de pression. Si l'on avait adopté divers points du programme de l'anarcho-syndicalisme, que continue à agiter encore de nos jours l'un ou l'autre leader syndicaliste, on en serait venu à livrer l'État, qui est le bien de tous les citoyens, à des organismes politiquement irresponsables, parce que de nature privée. »

    Voilà qui s'applique particulièrement bien à la situation de l'Éducation nationale.

    RépondreSupprimer
  15. Dorham & Nicolas : je suis bien aise de l'apprendre ! Chez nous, ils sont "en civil" et ça me défrise.

    Du reste, cela ne change que peu de chose au fond du propos, et qui ne touche pas que les fonctionnaires : cette personnalisation absurde des différentes fonctions. Lorsque je me présente au guichet du Crédit Strasbourgeois, par exemple, je veux avoir affaire à ma banque, à quelqu'un qui s'abstrait de son identité propre pour devenir le représentant de ma banque. Et non à Lionel ou à Maryvonne.

    De plus, je sais bien que ce ne sont pas les fonctionnaires de la Poste qui ont voulu les transformations et la dégradation actuelle. Il n'en demeure pas moins que les réflexions de Freund sur les fonctionnaires (incluses dans un chapitre traitant de la dialectique privé/public, inséparable pour lui de l'essence du politique, de même que les couples commandement/obéissance et amis/ennemis) restent passionnantes et pertinentes.

    RépondreSupprimer
  16. Le fonctionnaire est - intrinsèquement - davantage une fonction qu'un individu. C'est un fait, sans quoi, rien ne peut fonctionner.

    Il est comme un soldat mettons. Sa fonction dépasse nécessairement son être.

    Sauf que, si l'on considère l'Etat non pas comme une hydre fonctionnant toute seule, mais bien comme un corps, conduit par des êtres humains, alors, la désobéissance du fonctionnaire peut devenir particulièrement utile. Je suis certain que certaines familles juives auraient beaucoup apprécié que les fonctionnaires refusent de faire leur boulot à une certaine époque.

    Tout n'est donc pas si simple.

    Parfois, il est ABSOLUMENT NECESSAIRE que les jambes combattent la tête !

    RépondreSupprimer
  17. Bref,
    le texte de Freund que vous retranscrivez ici est intéressant, mais plutôt que la distinction "public/privé", celle qui consiste à opposer la fonction et l'individu me semble plus intéressante.

    RépondreSupprimer
  18. Moi-même fonctionnaire, non syndiqué, n'ayant même pas 1/2 journée de grève à mon actif (il se dit que je serais un social-traître), je suis tout à fait d'accord avec votre proposition de supprimer le droit de grève aux fonctionnaires. J'irais même plus loin, on devrait leur supprimer également le droit de vote.

    Si, si. Lorsqu'on y réfléchit un peu, voter, c'est donner son avis sur la manière dont l'argent public va être utilisé. Or, les fonctionnaires sont payés par l'argent public et de fait ne risquent pas de voter pour ceux qui entendent revenir à une saine gestion des caisses de l'État, en réduisant des effectifs pléthoriques. On ne le dira jamais assez, en France, 1 actif sur 5 travaille pour l'État. Sacré groupe de pression, non ?

    Et il y en a qui s'étonnent encore de l'immobilisme français !

    RépondreSupprimer
  19. Il est mignon, celui-la, il me rappelle mes trolls sarkozystes.

    RépondreSupprimer
  20. Hello Didier,

    moi j'ai une autre question rhétorique, en écho à celle de votre titre d'article:
    comment peut-on à la fois respecter le devoir de réserve du prof, dicté par la "laïcité" (neutralité des opinions proférées devant les gosses, en religion, mais aussi sur la politique), et faire grève quand on est prof? prendre part au blocage d'un lycée? (ou approuver ce même blocage par les élèves)

    RépondreSupprimer
  21. @ Nicolas : Je ne suis pas sarkozyste, mais alors pas du tout. Seulement si vous ne trouvez rien à redire à ce que certains soient juges et parties, je ne puis rien pour vous.

    RépondreSupprimer
  22. Sachez Messieurs, que si votre facteur ne porte pas de casquette ou de veste, il est probablement un non-titulaire, c'est à dire un remplaçant avec un statut de précarité à faire bronzer Besancenot. Les non-titulaires n'ont pas droit à la casquette. Il y avait dans le temps différents types de casquette en fonction du grade et avec ça des facteurs chef, sur-chef, sous-chef .... etc. Tout une époque. Il faut avoir durement travailler à la Poste pour le savoir !
    Il y a eu, il y a quelques mois, une manifestation des non-titulaires pour un droit opposable à la casquette. Idiot, non ! Un facteur avec casquette touche plus de pourboire que les autres notamment lors des ventes de calendrier (j'ai vérifié en mon temps). C'est encore vrai dans nos campagnes où mugissent de terribles soldats.

    Mais faut-il être à cheval sur les facteurs ?

    Uniforme obligatoire, plus de droit de grève mais maintien des effectifs quand même !

    NB : la citation de De Maistre sonne comme une sentence à tous.

    RépondreSupprimer
  23. Bon, allez lire Freund. Moi, personnellement, je vais me coucher...

    (Sérieusement, je vous encourage à le lire...)

    RépondreSupprimer
  24. « Mais faut-il être à cheval sur les facteurs ? »

    Et préférer les rousses aux douaniers ?

    RépondreSupprimer

La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.