Maman, ils n'ont rien compris. Moi, à peine plus, du reste. Et toi ? Tu n'as pas lu, heureusement ; tu sais certaines choses, tu te souviens de mon existence, mais lire ce qu'il m'arrive d'écrire ne te semble pas indispensable : tu as raison. Une mère n'est pas là pour lire, grâce au Ciel. Ne lisez pas ce livre ! Ce titre de Renaud Camus, il me semble aussi, pas seulement, qu'il s'adresse à sa mère - mais je peux me berlurer grave, pour parler en san-antonio post-moderne.
En réalité, je l'ai fait exprès. Il ne fallait pas que ça se voie trop. J'ai camouflé un cri inarticulé derrière une rodomontade, j'ai convoqué des chameaux, des Arabes, des trucs et des machins, juste pour être bien certain qu'on ne m'entendrait pas. Moi-même, maman, je ne tenais pas tant que ça à m'entendre. Et puis, surtout, il y a Ducharme qui s'immisce, entre toi et moi, entre nous, toute la famille comprise. Je ne sais pas trop ce qu'on va en faire, de celui-là. Déjà, à peine né - tu as vu ? -, il nous ramène Juan, que j'espérais bien enfoui dans son urne, sur l'étagère supérieure, chez Carlos. Pas du tout : comme dans un film hollywoodien de bas étage, il se reconstitue et se met à tonitruer avec l'accent, comme avant : c'est un peu perturbant.
Cela ramène tout le reste. Les volets de bois plein - même les punaises des bois, agglutinées derrière, me deviennent précieuses, ces petites taches brunes ou vertes de passé, craquantes, odorantes, vivantes. Et les sapins, mollement onduleux (et merde si l'adjectif n'existe pas : j'atteste avec force que les sapins de la route de Chaumont, La Ferté-Saint-Aubin, étaient onduleux, ils étaient peut-être les seuls). Le papier peint aussi me revient - Dieu sait, pourtant...
Et les bruits. Les sons de vos voix, à l'étage inférieur. Le craquement des marches de chêne, le glissement mouillé de la voiture qui passe, les piaillements des oiseaux nouveaux-nés dans la boîte aux lettres qui n'a jamais servi d'autre chose que de nid. Un bruit de moteur de Solex. La bêche régulière de mon père - ton mari -, et parfois le court jappement du chien qui l'accompagne. Une cloche quelque part, le coup de frein du facteur, le coq de Mme Herpin, l'appel d'un futur.
Je me lève, il est tard : qu'est-ce qu'on mange, maman ?
En réalité, je l'ai fait exprès. Il ne fallait pas que ça se voie trop. J'ai camouflé un cri inarticulé derrière une rodomontade, j'ai convoqué des chameaux, des Arabes, des trucs et des machins, juste pour être bien certain qu'on ne m'entendrait pas. Moi-même, maman, je ne tenais pas tant que ça à m'entendre. Et puis, surtout, il y a Ducharme qui s'immisce, entre toi et moi, entre nous, toute la famille comprise. Je ne sais pas trop ce qu'on va en faire, de celui-là. Déjà, à peine né - tu as vu ? -, il nous ramène Juan, que j'espérais bien enfoui dans son urne, sur l'étagère supérieure, chez Carlos. Pas du tout : comme dans un film hollywoodien de bas étage, il se reconstitue et se met à tonitruer avec l'accent, comme avant : c'est un peu perturbant.
Cela ramène tout le reste. Les volets de bois plein - même les punaises des bois, agglutinées derrière, me deviennent précieuses, ces petites taches brunes ou vertes de passé, craquantes, odorantes, vivantes. Et les sapins, mollement onduleux (et merde si l'adjectif n'existe pas : j'atteste avec force que les sapins de la route de Chaumont, La Ferté-Saint-Aubin, étaient onduleux, ils étaient peut-être les seuls). Le papier peint aussi me revient - Dieu sait, pourtant...
Et les bruits. Les sons de vos voix, à l'étage inférieur. Le craquement des marches de chêne, le glissement mouillé de la voiture qui passe, les piaillements des oiseaux nouveaux-nés dans la boîte aux lettres qui n'a jamais servi d'autre chose que de nid. Un bruit de moteur de Solex. La bêche régulière de mon père - ton mari -, et parfois le court jappement du chien qui l'accompagne. Une cloche quelque part, le coup de frein du facteur, le coq de Mme Herpin, l'appel d'un futur.
Je me lève, il est tard : qu'est-ce qu'on mange, maman ?
Je vais aller boire une bière : peut-être cela m'aidera-t-il à comprendre ce billet, après une dure journée de labeur.
RépondreSupprimerLà, Didier, je vous trouve particulièrement émouvant, et surtout compréhensible, ce qui ne gâte rien!
RépondreSupprimerOrage merci : vous serez ma dernière commentatrice pour ce soir. Je me casse !
RépondreSupprimerNicolas : ivrogne !
Je confirme, les sapins étaient bien ONDULEUX, et pas seulement en 1976, ils l'étaient déjà en 1973, avant je ne sais pas.
RépondreSupprimerC.H.
: ) Didier petit...
RépondreSupprimerah La Ferté Saint-Aubin.. mais on a failli aller à l'école ensemble !! (oui, on a le même âge..)
RépondreSupprimerTrès beau. Vous voyez, quand vous voulez !
RépondreSupprimer(On a dit qu'on ne mettait plus de smileys !)
Quelqu'un a vu Didier ?
RépondreSupprimerLe dernier c'était vous ! J'ai hâte qu'il arrive pour faire le ménage.
RépondreSupprimerC.H. : merci de votre caution !
RépondreSupprimerCatherine : pas si petit que ça : j'avais 20 ans...
Geargies : J'étais au lycée Pothier, puis à Benjam', puis à la fac de la Source.
Zoridae : merci !
Ali Baba : pour l'éditeur, non merci.
Nicolas : ça va, vous, ce matin ?
Le passé est tissé d'infimes détails, mais tout le monde ne sait pas, comme vous, les faire surgir de sa plume avec autant de délicatesse.
RépondreSupprimer[tout ça pour dire : j'aime beaucoup ce texte]
Thanks, Miss...
RépondreSupprimerDidier,
RépondreSupprimerJe vais répondre précisément à votre question : bof.
Ah ces cahiers remplis de souvenirs d'enfance et de petites larmes qui vous perlent aux yeux...
RépondreSupprimerEmouvant.
héhé pour faire global: lycée de Blois, puis Tours, puis Paris...
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