« Il nous faut penser la réconciliation non plus comme la suite, mais comme l'envers de la montée aux extrêmes. Elle est là, comme une possibilité réelle, mais que personne ne veut voir. Le Royaume est déjà là, mais la violence des hommes le masquera de plus en plus. Tel est le paradoxe de notre monde. La pensée apocalyptique s'oppose donc à cette sagesse qui croit l'identité paisible, la fraternité, accessible sur le plan purement humain. Elle s'oppose aussi à toutes les pensées réactionnaires qui veulent restaurer de la différence et qui ne voient dans l'identité qu'uniformité destructrice ou conformisme niveleur. La pensée apocalyptique reconnaît dans l'identité la source du conflit. Mais elle y voit aussi la présence dissimulée du « comme toi-même », incapable, certes, de triompher, mais secrètement actif, secrètement dominant, derrière le bruit et la fureur qui le recouvrent. »
René Girard, Achever Clausewitz, ed. Carnets nord.
Fraternité ! Voilà, tout est dit.
RépondreSupprimerAprès Alain pourquoi ne pas "achever la gauche" avec René Noël Théophile....
"Cet article présente de façon synthétique et articulée les thèses défendues par René Girard dans son livre "Le bouc émissaire". Il s'agit d'une version courte et condensée de l'article déjà publié Introduction au bouc émissaire. Ce texte est une interprétation du texte de Girard, pas un résumé analogique. Il reconstruit la structure de l'argumentation de l'auteur.
RépondreSupprimerLa thèse de René Girard dans ce livre est de trouver le mécanisme unique expliquant le déclenchement et la résolution des persécutions collectives. Une persécution collective est définie comme des violences commises directement par des foules meurtrières à l'encontre d'un groupe minoritaire. Pour expliquer ce phénomène il faut :
1. Caractériser les conditions de déclenchement de la persécution.
2. Caractériser les conditions de son déroulement.
3. Caractériser les conditions de sa résolution.
Montrer en quoi les points 1., 2. et 3. peuvent s'expliquer par un principe (mécanisme) unique.
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1. Les causes de déclenchement des persécutions.
Il y a une cause qui explique génétiquement les persécutions : l'indifférencitaion. Depuis celle-ci on peut déduire la cause du déroulement, et celle de la conclusion de la persécution (qui seront 2. l'accusation et 3. les traits victimaires). Le mécanisme régulateur des persécutions est celui du "bouc émissaire", du "sacrifice", et son mécanisme explicatif est la mimesis d'appropriation.
l'indifférenciation
La cause du déclenchement de la persécution est l'aplatissement des ordres culturels, ou "état d'indifférenciation". Un état d'indifférenciation se caractérise par une perte de pouvoir des institutions sociales, une perte de leur légitimité, et un arrêt de leur fonctionnement. La conséquence directe de cela est un effacement des hiérarchies sociales : les institutions sont le garant des hiérarchies sociales, et d'une autorité qui les fait respecter. Quand cet ordre social est perturbé, cela signifie que les mécanismes de reconnaissance sociale ne sont plus effectif : l'identité sociale de chacun cesse d'être un donné. La raisons pour lesquelles chacun tient tel rôle particulier dans la société cessent d'être évidentes. Il y a donc une situation où "chacun devient le stric égal de l'autre, "le même" que n'importe quel autre membre du groupe". C'est un état d'in-différenciation entre les personnes. Un état de crise mimétique (Voir l'article sur "des choses cachées depuis la fondation du monde"). Pourquoi cela pose-t-il problème pour la société?
La première raison est que la fonction de médiation des conflits n'est plus remplie par les institutions : chaque membre du groupe se trouve confronté à tous les autres sans régulation extérieure. En d'autres termes : cette situation correspond à une situation de rituel où sont levés tous les interdits. (Voir l'article sur "des choses cachées depuis la fondation du monde"). L'indifférenciation est donc une situation éminement conflictuelle, donc menaçante pour la société.
La seconde raison est que l'indifférenciation signifie la fin de la culture. La culture est définie par Girard comme un système d'échange. Or la notion d'échange n'a de sens que si le système d'échange présente des différences donnant un sens à celle-ci. Dans un état d'indifférenciation, c'est-à-dire de "mêmeté" généralisée, l'échange n'en a plus aucun. L'indifférenciation met donc en péril la société par la situation conflictuelle qu'elle engendre.
Le seul dénominateur commun des hommes dans cette situation est leur désunion. Cette désunion provient du fait que les désirs ne sont plus médiatisés : le mécanisme de la mimesis d'appropriation fonctionne sans entraves. Les hommes sont plongés dans une situation d'uniformité au sein de laquelle ils vont valoriser toute possibilité de différenciation, puisqu'elle est le mécanisme permettant de sortir de la crise mimétique (Voir l'article sur "des choses cachées depuis la fondation du monde"). Cette résolution de la crise s'opère par la différenciation du groupe vis-à-vis d'une victime qui sera sacrifiée.
Note : il est à noter que Girard associe la cause du déroulement et de la conclusion de la persécution à celle de son déclenchement. Autrement dit la persécution ne se déclenche qu'avec l'apparition de l'accusation et des traits victimaires (développés juste après). Cette structuration nous semble cependant inutile dans la mesure où l'indifférenciation correspond à un état de crise mimétique, qui contient en elle-même les conditions de son déroulement et de sa conclusion, comme montré dans son anthropologie fondamentale.
2. Les conditions du déroulement de la persécution.
l'accusation
Ce que l'indifférenciation explique donc c'est qu'un état de crise des institutions fait émerger une situation de violence généralisée, qui suit le fonctionnement des crises mimétiques décrites par Girard dans son anthropologie fondamentale. Il reste à expliquer comment évolue la situation de crise. Structurellement, on retrouvera ici le même schéma que dans le déroulement d'un rituel, au sens défini par Girard.
L'accusation remplit une fonction précise : donner une valeur explicative au bouc émissaire concernant la crise que la société traverse. Pour que son sacrifice soit une résolution, il faut pouvoir croire qu'il est responsable de cette crise. En l'accusant, cela prend son sens. Les accusations seront donc logiquement liées à des crimes fondamentaux : aux interdits. Un bouc émissaire sera toujours, pour qu'il ait valeur explicative de la crise, accusé d'avoir transgressé les interdits.
Pour que cette accusation apparaisse sensée, il faut néanmoins un autre élément : pouvoir expliquer qu'un petit groupe soit responsable de la totalité de la crise. Cela se produit par le moyen d'accusations stéréotypées. Une accusation stéréotypée concerne un interdit fondamental : parricide, inceste, meurtre, etc. Ces interdits sont tellement puissants qu'ils ont une force explicative automatique. Ils polarisent automatiquement la violence sur celui qui en est responsable, car la transgression d'un tel interdit met la société même en danger. Le meurtre est un exemple évident. Il s'agit là d'un postulat empirique formulé par Girard.
3. Les conditions de conclusion de la persécution.
les traits victimaires
Ici aussi, une seule cause nécessaire et suffisante à la conclusion de la crise. Il suffit d'expliquer comment s'effecture la sélection d'un groupe minoritaire précis. Girard postule qu'elle ne se fait pas au hasard, mais selon des caractéristiques très précises. Ces caractéristiques sont les traits victimaires. Les traits victimaires sont définis comme des caractéristiques a-normales possédées par un groupe au sein d'une société. Cette anormalité a pour conséquence de faire subsister ce groupe hors de l'état d'indifférenciation : il est le seul à avoir conserver une reconnaissance sociale au sein de la crise mimétique. Il peut s'agir d'une différence culturelle, physique, ou même de réputation, peu importe.
La polarisation de la majorité contre la minorité est alors automatique et suit les règles de résolution des crises mimétiques. Le groupe sélectionné pour ses traits victimaires est symboliquement l'antagoniste mimétique. Il est l'obstacle à l'obtention de la ressource désirée : la différenciation. Son élimination constitue donc une résolution du conflit et un retour à la normale. Le mécanisme victimaire est alors totalement respecté. La résolution de la crise prend donc place dans le massacre de la minorité, qui fait office de sacrifice. (Voir l'article sur "des choses cachées depuis la fondation du monde".)
La persécution se résorbe donc dans le massacre d'une minorité, qui tient lieu de sacrifice d'un bouc émissaire. Puisque ce groupe minoritaire a reçu valeur explicative de la crise d'indifférenciation grâce aux accusations, son massacre est une condition suffisante à recréer des conditions de différenciation sociale. La société éprouve alors la reconnaissance du pouvoir du bouc émissaire restaurer une unité perdue, et s'attachera, dans cette nouvelle union, à remettre en route les institutions garantes des interdits censés empêcher de telles crises.
4. Le principe explicatif des persécutions.
la mimesis d'appropriation
Le principe unique permettant d'expliquer le démarrage d'une persécution quand une crise d'indifférenciation traverse la société, c'est la mimesis d'appropriation. Une indifférenciation résulte dans l'effondrement du fonctionnement des institutions sociales. Logiquement, cela correspond comme nous l'avons précisé plus haut, à une situation de crise mimétique, où les interdits sont levés. Ainsi qu'il a été montré dans l'anthtropologie fondamentale de Girard (Voir l'article sur "des choses cachées depuis la fondation du monde".) la mimesis d'appropriation engendre le conflit lorsque la fonction médiatisante des interdits disparaît.
Le mécanisme unique expliquant le déroulement, toujours semblable, des persécutions, est celui du bouc émissaire. Le bouc émissaire est la victime choisie (voir points 2. et 3.) dans le rituel. Il y a ici un apport théorique de Girard par rapport à la description des rituels qui se déroulent à l'intérieur d'un sous-groupe de la société : la victime n'est plus choisie au hasard. Il ne s'agit plus ici d'un simple mécanisme de substitution des antagonistes : la victime doit prendre un sens au niveau social entier, on doit pouvoir expliquer en quoi sa suppression a pour fonction un retour à la normale. Autrement dit pouvoir justifier sa capacité à expliquer les maux à l'origines de l'indifférenciation. Le fait de conceptualiser la victime comme bouc-émissaire permettra de comprendre pourquoi elle joue un rôle si particulier dans la création de l'ordre social. Nous envisagerons dans un prochain article la fonction ambivalente du bouc-émissaire, expliquant sa puissance, qui est celle, pour la société, d'être à la fois responsable des maux et des solutions à ceux-ci."
Quentin Delval & Stéphane Zampelli -